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Les grands textes de l’Ultra-Gauche

 

 

 

1) Quelques principes généraux. 1

2) Le militantisme stade suprême de l'aliénation. 2

3) De la misère en milieu étudiant 11

4) Nouvelles attaques contre «AUSCHWITZ OU LE GRAND ALIBI». 31

5) Un monde sans argent 50

6) A bas le prolétariat. Vive le communisme ! 51

 

 

1) Quelques principes généraux

 

 

 

Ultra-gauche, gauche communiste, rejettent l’Union soviétique, puis les « pays socialistes », et les désignent comme des capitalismes d’Etat.

 

Les bolcheviks ont remplacé la dictature du prolétariat par la dictature du parti sur le prolétariat. Lénine en fut le maître d’œuvre, puisque c’est lui qui a substitué la dictature du parti communiste à celle des conseils ouvriers.

 

« La présentation du régime russe comme « socialiste » - ou comme ayant un rapport quelconque avec le socialisme - est la plus grande mystification connue de l'histoire. »

Cornelius Castoriadis, dans Devant la guerre, 1981.

 

Comme l’écrit Otto Rühle en 1939 : « La dictature du prolétariat s’est transformée à vue d’œil en dictature d’un clan politique. Les militants du parti ne sont plus que des figurants aux meetings. Leur rôle d’esclaves politiques ne leur laisse que la liberté illimitée d’encenser leurs dirigeants. Il n’y a en cela aucune différence entre Staline, « père des peuples », et Hitler « sauveur de la nation ».

 

Les vieux « anars » qui refusent tout dialogue avec le marxisme se trompe d’adversaire. Ils confondent Marx et Lénine. L’ennemi, c’est l’autorité, incarnée par la dictature bolchevik.

 

Ce sont les conseils ouvriers, et eux seuls, qui doivent constituer l’outil privilégié de la dictature du prolétariat. Le parti devra naître des luttes ouvrières. Il se cantonnera à un rôle de coordinateur et d’éclaireur.

Que penser de Trotski, le « prophète pourchassé » qui passe maintenant pour un champion de l’opposition de gauche ? C’est sur l’ordre de Lénine et Trotski qu’on massacra les ouvriers de Cronstadt, parce que leurs exigences allaient à l’encontre des intérêts de l’Etat bolchevique de 1920.

Les trotskistes se sont prosternés devant le Moloch totalitaire : La IVe Internationale a accueilli comme « libératrice » l’entrée des troupes russes en Europe orientale, alors que celle-ci arrachait aux ouvriers les armes dont ils s’étaient emparés.

 

Sur le maoïsme : en se mettant à la traine de Pékin, on piétine l’idéologie du prolétariat, autant qu’en s’inclinant devant Moscou. La Chine rouge est en réalité une dictature bureaucratique.

 

Sur le réformisme : Toutes les réformes ne servent qu’à renforcer l’Etat existant. Le triomphe de la social-démocratie sera la défaite du socialisme.

 

Sur les syndicats d’aujourd’hui : le capitalisme a réussi à contenir les conflits grâce aux syndicats. Le capitalisme a acheté la docilité des travailleurs en augmentant leur niveau de vie.

1er mai : « Alors, joyeux fêtards, on va défiler dans la rue, tenue en laisse par la main paternelle du capital ? On va vous promener comme des toutous dociles et vous allez pouvoir faire votre crotte syndicale, hors des chiottes de l’usine ou du bureau. »

 

Par delà les différences apparentes, le fascisme et la démocratie sont perçus comme relevant tous deux du même système capitaliste, puisque les rapports de classe et d’exploitation y demeurent inchangés. Fascisme ou social-démocratie, deux aspects du capital.

 

Dans le régime bourgeois, nous dénonçons la démocratie parlementaire comme un appareil destiné à dissimuler la dictature effective des capitalistes.

 

Comme la démontré Guy Debord, le capitalisme a réussi à éviter l’effondrement par la mise en place du spectacle (musique, radio, télé, etc.). Celui-ci est ainsi le visage contemporain du capitalisme. De plus, la société du spectacle veut désamorcer la vague révolutionnaire en la banalisant, en la relativisant, en la médiatisant, en la transformant en un simple phénomène de mode.

 

 

2) Le militantisme stade suprême de l'aliénation

 

http://www.left-dis.nl/f/militant.htm

 

 

ORGANISATION DES JEUNES TRAVAILLEURS REVOLUTIONNAIRES (1972)

A la suite du mouvement des occupations de mai 68 on a vu se développer à la gauche du Parti Communiste et de la C.G.T un ensemble de petites organisations qui se réclament du trotskisme, du maoïsme et de l’anarchisme. Malgré le faible pourcentage de travailleurs qui ont rejoint leurs rang, elles prétendent disputer aux organisations traditionnelles le contrôle de la classe ouvrière dont elles se proclament l’avant-garde.

Le ridicule de leurs prétentions peut faire rire, mais en rire ne suffit pas. Il faut aller plus loin, comprendre pourquoi le monde moderne produit ces bureaucrates extrémistes, et déchirer le voile de leurs idéologies pour découvrir leur rôle historique véritable. Les révolutionnaires doivent se démarquer le plus possible des organisations gauchistes et montrer que loin de menacer l’ordre du vieux monde l’action de ces groupes ne peut entraîner au mieux que son reconditionnement. Commencer à les critiquer, c’est préparer le terrain au mouvement révolutionnaire qui devra les liquider sous peine d’être liquidé par eux.

La première tentation qui vient à l’esprit est de s’attaquer à leurs idéologies, d’en montrer l’archaïsme ou l’exotisme (de Lénine à Mao) et de mettre en lumière le mépris des masses qui se cache sous leur démagogie. Mais cela deviendrait vite fastidieux si l’on considère qu’il existe une multitude d’organisations et de tendances et qu’elles tiennent toutes à bien affirmer leur petite originalité idéologique. D’autre part cela revient à se placer sur leur terrain. Plus qu’à leurs idées il convient de s’en prendre à l’activité qu’ils déploient au " service de leurs idées " : le MILITANTISME.

Si nous nous en prenons globalement au militantisme ce n’est pas parce que nous nions les différences qui existent entre l’activité des diverses organisations. Mais nous pensons que malgré et même justement à cause de leur importante ces différences ne peuvent bien s’expliquer que si on prend le militantisme à la racine.

Les diverses façons de militer ne sont que des réponses divergentes à une même contradiction fondamentale dont aucune ne détient la solution.

En prenant parti de fonder notre critique sur l’activité du militant nous ne sous estimons pas l’importance du rôle des idées dans le militantisme. Simplement à partir du moment où ces idées sont mises en avant sans êtres reliées à l’activité il importe de savoir ce qu’elles cachent. Nous montrerons le hiatus qu’il y a entre les deux, nous relierons les idées à l’activité et dévoilerons l’impact de l’activité sur les idées : chercher derrière le mensonge la réalité du menteur pour comprendre la réalité du mensonge.

Si la critique et la condamnation du militantisme est une tâche indispensable pour la théorie révolutionnaire, elle ne peut être faite que du "point de vue " de la révolution. Les idéologues bourgeois peuvent traiter les militants de voyous dangereux, d’idéalistes manipulés, leur conseiller d’occuper leur temps à travailler ou à le passer au Club Méditerranée ; ils ne peuvent pas s’attaquer au militantisme en profondeur car cela revient à mettre en lumière la misère de toutes activités que permet la société moderne. Nous ne cachons pas notre parti pris, notre critique ne sera pas " objective et valable de tous les points de vue ".

Cette critique du militantisme est inséparable de la construction des organisations révolutionnaires, non seulement parce que les organisations de militants devront être combattues sans relâche, mais aussi parce que la lutte contre la tendance au militantisme devra être menée au sein même des organisations, révolutionnaires. Cela sans doute parce que ces organisations, tout au moins au départ, risquent d’être composées pour une part non négligeable d’anciens militants " repentis ", mais aussi parce que le militantisme se base sur l’aliénation de chacun d’entre nous. L’aliénation ne s’élimine pas d’un coup de baguette magique et le militantisme est le piège particulier que le vieux monde tend aux révolutionnaires.

Ce que nous disons des militants est dur et sans appel. Nous ne sommes prêts effectivement à aucun compromis avec eux, ce ne sont pas des révolutionnaires qui se trompent ou des semi - révolutionnaires, mais des gens qui restent en deçà de la révolution. Mais cela ne veut nullement dire que 1° nous nous mettons en dehors de cette critique, si nous tenons à être clairs et nets, c’est d’abord à l’égard de nous même, et que 2° nous condamnons le militant en tant qu’individus et faisons de cette condamnation une affaire de morale. Il ne s’agit pas de retomber dans la séparation des bons et des méchants. Nous ne sous estimons pas la tentation du : " plus je gueule contre les militants, plus je prouve que je n’en suis pas et plus je me mets à l’abri de la critique ! "

LE MASOCHISME

Faisons l’effort de surmonter l’ennui que secrète naturellement les militants. Ne nous contentons pas de déchiffrer la phraséologie de leurs tracts et de leurs discours. Interrogeons - les sur les raisons qui les ont poussés, eux, personnellement, à militer. Il y n’a pas de question qui puisse embarrasser plus un militant. Au pire ils vont partir dans des baratins interminables sur l’horreur du capitalisme, la misère des enfants du tiers monde, les bombes à fragmentation, la hausse des prix, la répression. Au mieux ils vont expliquer que ayant pris conscience - ils tiennent beaucoup à cette fameuse " prise de conscience " - de la véritable nature du capitalisme ils ont décidé de lutter pour un monde meilleur, pour le socialisme (le vrai pas l’autre). Enthousiasmés par ces perspectives exaltantes ils n’ont pas résister au désir de se jeter sur la manivelle de la Ronéo la plus proche. Essayons d’approfondir la question et portons nos regards non plus sur ce qu’ils disent mais sur ce qu’ils vivent.

Il y a une énorme contradiction entre ce qu’ils prétendent désirer et la misère et l’inefficacité de ce qu’ils font. L’effort auquel ils s’astreignent et la dose d’ennui qu’ils sont capables de supporter ne peuvent laisser aucun doute : ces gens là sont d’abord des masochistes. Non seulement au vu de leur activité on ne peut croire qu’ils puissent désirer sincèrement une vie meilleure, mais encore leur masochisme ne manifeste aucune originalité. Si certains pervers mettent en œuvre une imagination qui ignore la pauvreté des règles du vieux monde, ce n’est pas le cas des militants ! Ils acceptent au sein de leur organisation la hiérarchie et les petits chefs dont ils prétendent vouloir débarrasser la société, et l’énergie qu’ils dépensent se moule spontanément dans la forme du travail. Car le militant fait partie de cette sorte de gens à qui 8 ou 9 heures d’abrutissement quotidien ne suffisent pas.

Lorsque les militants tentent de se justifier ils n’arrivent qu’à étaler leur manque d’imagination. Ils ne peuvent concevoir autre chose, une autre forme d’activité que ce qui existe actuellement. Pour eux, la division entre le sérieux et l’amusant, les moyens et les buts n’est pas liée à une époque déterminée. Ces catégories sont éternelles et indépassables : on ne pourra être heureux plus tard que si on se sacrifie maintenant. Le sacrifice sans récompense de millions de militants ouvriers, des générations de l’époque stalinienne ne fait rien bouger dans leurs petites têtes. Ils ne voient pas que les moyens déterminent les fins et qu’en acceptant de se sacrifier aujourd’hui ils préparent les sacrifices de demain.

On ne peut qu’être frappé par les innombrables ressemblances qui rapprochent militantisme et activité religieuse. On retrouve les mêmes attitudes psychologiques : esprit de sacrifice, mais aussi intransigeance, volonté de convertir, esprit de soumission. Ces ressemblances s’étendent au domaine des rites et des cérémonies : prêches sur le chômage, processions pour le Vietnam, références aux textes sacrés du marxisme - léninisme, culte des emblèmes (drapeaux rouges). Les églises politiques n’ont - elles pas aussi leurs prophètes, leurs grands prêtres, leurs convertis, leurs hérésies, leurs schismes, leurs pratiquants-militants et leurs non-pratiquants-sympathisants ! Mais le militantisme révolutionnaire n’est qu’une parodie de la religion. La richesse, la démence, la démesure des projets religieux lui échappent ; il aspire au sérieux, il veut être raisonnable, il croit pouvoir gagner en échange un paradis ici-bas. Cela ne lui est même pas donné. Jésus Christ ressuscite et monte au ciel, Lénine pourrit sur la Place Rouge.

Si le militant peut être assimilé au croyant en ce qui concerne la candeur de ses illusions il convient de le considérer tout autrement en ce qui concerne son attitude réelle. Le sacrifice de la carmélite qui s’emprisonne pour prier pour le salut des âmes a des répercussions très limitées sur la réalité sociale. Il en va tout autrement pour le militant. Son sacrifice risque d’avoir des conséquences fâcheuses pour l’ensemble de la société.

LE DESIR DE LA PROMOTION

Le militant parle beaucoup des masses. Son action est centrée sur elles. Il s’agit de les convaincre, de leur faire " prendre conscience ". Et pourtant le militant est séparé des masses et de leurs possibilités de révolte. Et cela parce qu’il est SEPARE DE SES PROPRES DESIRS.

Le militant ressent l’absurdité de l’existence que l’on nous impose. En "décidant" de militer, il tente d’apporter une solution à l’écart qui existe entre ses désirs et ce qu’il a réellement la possibilité de vivre. C’est une réaction contre la misère de sa vie. Mais il s’engage dans une voie sans issue.

Bien qu’insatisfait, le militant reste incapable de reconnaître et d’affronter ses désirs. IL EN A HONTE. Cela l’entraîne à remplacer la promotion de ses désirs par le désir de sa promotion. Mais les sentiments de culpabilité qu’il entretient sont tels qu’il ne peut envisager une promotion hiérarchique dans le cadre du système, ou plutôt il est prêt à lutter pour une bonne place s'il gagne en même temps la garantie que ce n’est pas pour son propre compte. Son militantisme lui permet de s’élever, de se mettre sur un piédestal, sans que cette promotion apparaisse aux autres et à lui-même pour ce qu’elle est. (Après tout, le pape n’est lui aussi que le serviteur des serviteurs de Dieu !

Se mettre au service de ses désirs ne revient nullement à se réfugier dans sa coquille et n’a rien à voir avec l’individualisme petit-bourgeois. Tout au contraire cela ne peut passer que par la destruction de la carapace d’égoïsme dans laquelle nous enferme la société bourgeoise et le développement d’une véritable solidarité de classe. Le militant qui prétend se mettre au service du prolétariat (" les ouvriers sont nos maîtres ", dixit Alain Geismar) ne fait que se mettre au service de l’idée qu’il a des intérêts du prolétariat. Ainsi par un paradoxe qui n’est qu’apparent, en se mettant véritablement au service de soi - même on en revient à aider véritablement les autres et cela sur une base de classe, et en se mettent au service des autres on en vient à protéger une position hiérarchique personnelle.

Militer, ce n’est pas s’accrocher à la transformation de sa vie quotidienne, ce n’est pas se révolter directement contre ce qui opprime, c’est au contraire fuir ce terrain. Or ce terrain est le seul qui soit révolutionnaire pourvu que l’on sache que notre vie de tous les jours est colonisée par le capital et régie par les lois de la production marchande. En se politisant, le militant est à la recherche d’un rôle qui le mette au - dessus des masses. Que ce " au-dessus " prenne des allures " d’avant-gardisme " ou " d’éducationnisme " ne change rien à l’affaire. Il n’est déjà plus le prolétaire qui n’a rien d’autre à perdre que ses illusions; il a un rôle à défendre. En période de révolution, quand tous les rôles craquent sous la poussée du désir de vivre sans entrave, le rôle de " révolutionnaire conscient " est celui qui survit le mieux.

En militant, il donne du poids à son existence, sa vie retrouve un sens. Mais ce sens, il ne le trouve pas en lui-même dans la réalité de sa subjectivité, mais dans la soumission à des nécessités extérieures. De même que dans le travail il est soumis à un but et à des règles qui lui échappent, il obéit en militant aux "nécessités de l’histoire. "

Évidemment , on ne peut pas mettre tous les militants sur le même plan. Tous ne sont pas atteints aussi gravement. On trouve parmi eux quelques naïfs qui, ne sachant comment utiliser leurs loisirs, poussés par la solitude et trompés par la phraséologie révolutionnaire se sont égarés ; ils saisiront le premier prétexte venu pour s’en aller. L’achat de la télévision, la rencontre de l’âme sœur, la nécessité de faire des heures supplémentaires pour payer la voiture déciment les rangs de l’armée des militants !

Les raisons qui poussent à militer ne datent pas d’aujourd’hui. En gros elles sont les mêmes pour les militants syndicalistes, catholiques et révolutionnaires. La réapparition d’un militantisme révolutionnaire de masse est liée à la crise actuelle des sociétés marchandes et au retour de la vieille taupe révolutionnaire. La possibilité d’une révolution sociale apparaît suffisamment sérieuse pour que les militants misent sur elle. Le tout est renforcé par l’écroulement des religions.

Le capitalisme n’a plus besoin des systèmes de compensation religieux. Parvenu à maturité, il n’a pas à offrir un supplément de bonheur dans l’au-delà mais tout le bonheur ici-bas, dans la consommation de ses marchandises matérielles, culturelles et spirituelles (l’angoisse métaphysique fait vendre !). Dépassées par l’histoire, les religions et leurs fidèles n’ont plus qu’à passer à l’action sociale ou au... maoïsme.

Le militantisme gauchiste touche essentiellement des catégories sociales en voie de prolétarisation accélérée (lycéens, étudiants, enseignants, personnels socio-éducatifs...) qui n’ont pas de possibilité de lutter concrètement pour des avantages à court terme et pour lesquels devenir véritablement révolutionnaire suppose une remise en question personnelle très profonde. L’ouvrier est beaucoup moins complice de son rôle social que l’étudiant ou l’éducateur. Militer est pour ces derniers une solution de compromis qui leur permet d’épauler leur rôle social vacillant. Ils retrouvent dans le militantisme une importance personnelle que la dégradation de leur position sociale leur refusait. Se dire révolutionnaire, s’occuper de la transformation de l’ensemble de la société, permet de faire l’économie de la transformation de sa propre condition et de ses illusions personnelles.

Dans la classe ouvrière le syndicalisme a le quasi-monopole du militantisme, il assure au militant des satisfactions immédiates et une position dont l’avantage peut se mesurer concrètement. L’ouvrier tenté par le militantisme se tournera très probablement vers le syndicalisme. Même les comités de lutte antisyndicaux ont tendance à devenir un syndicalisme nouvelle manière. L’activité politique n’est pour les militants ouvriers que le prolongement de l’action syndicale. Le militantisme tente peu les ouvriers et notamment les jeunes ouvriers parce que ce sont les prolétaires les plus lucides en ce qui concerne la misère de leur travail en particulier et de leur vie en général. Déjà peu tentés, dans leur ensemble, par le syndicalisme, ils le sont encore moins par un gauchisme aux avantages fumeux.

Ceci dit, quand dans la tourmente révolutionnaire le règne des marchandises et de la consommation s’écoulera, le syndicalisme dont le sérieux se basait sur la revendication sera prêt pour survivre à passer au militantisme révolutionnaire. Il reprendra les mots d’ordre les plus extrémistes et sera alors beaucoup plus dangereux que les groupes gauchistes. Déjà ne voit-on pas, à la suite de mai 68, la CFDT mêler le mot d’autogestion à son charabia néo-bureaucratique !

LE TRAVAIL POLITIQUE

Le temps " libre " que lui laissent ses obligations professionnelles ou scolaires, le militant va le consacrer à ce qu’il appelle lui-même " le travail politique ". Il faut tirer et distribuer des tracts, fabriquer et coller des affiches, faire des réunions, prendre des contacts, préparer des meetings... Mais ce n’est pas telle action considérée isolement qui suffit à caractériser le travail militant. Le simple fait de composer un tract dans le but de le tirer et le distribuer ne peut être considéré en soi comme un acte militant. S'il est militant c’est parce qu’il s’insère dans une activité qui a une logique particulière.

C’est parce que l’activité du militant n’est pas le prolongement de ses désirs, c’est parce qu’elle obéit à une logique qui lui est extérieure, qu’elle se rapproche du travail. De même que le travailleur ne travaille pas pour lui, le militant ne milite pas pour lui. Le résultat de son action ne peut donc pas être mesuré au plaisir qu’il retire. Il va donc l’être suivant le nombre d’heures dépensées, le nombre de tracts distribués. La répétition, la routine dominent l’activité du militant. La séparation entre exécution et décision renforce le côté fonctionnaire du militant.

Mais si le militantisme se rapproche du travail il ne peut pas lui être assimilé. Le travail est l’activité sur laquelle se fonde le monde dominant, il produit et reproduit le capital et les rapports de production capitalistes ; le militantisme lui n’est qu’une activité mineure. Si le résultat du travail et son efficacité, par définition, ne se mesurent pas à la satisfaction du travailleur ils ont l’avantage d’être mesurables économiquement. La production marchande, par le biais de la monnaie et du profit crée ses étalons et ses instruments de mesure. Elle a sa logique et sa rationalité qu’elle impose au producteur et au consommateur. Au contraire, l’efficacité du militantisme, " l’avancée de la révolution ", n’ont pas encore trouvé leurs instruments de mesure. Leur contrôle échappe aux militants et à leurs dirigeants. Dans l’hypothèse, évidemment, où ces derniers se soucient encore de la révolution ! On en est donc réduit à comptabiliser le matériel produit et distribué, le recrutement, les actions menées ; ce qui évidemment ne mesure jamais ce que l’on prétend mesurer. Tout naturellement on en vient à considérer que ce qui est mesurable est une fin en soi. Imaginez le capitaliste qui ne trouvant pas de moyen d’évaluer la valeur de sa production déciderait de se rabattre sur la mesure des quantités d’huile consommées par des machines. Très consciencieux, les ouvriers videraient de l’huile dans le caniveau pour faire progresser... la production. Incapable de poursuivre le but proclamé, le militantisme ne fait que signer le travail.

S’appliquant consciencieusement à imiter le travail, les militants sont fort mal placés pour comprendre les perspectives ouvertes d’un côté par le mépris de plus en plus répandu à l’égard de toutes les contraintes et de l’autre par les progrès du savoir et de la technique. Les plus intelligents d’entre eux se rangent aux côtés des idéologues de la bourgeoisie moderniste, pour demander que l’on réduise les horaires ou que l’on humanise la répugnante activité. Que ce soit au nom du capital ou de la révolution, tous ces gens - là se montrent incapables de voir au-delà de la séparation entre temps de travail et temps de loisirs, entre activité consacrée à la production et activité consacrée à la consommation.

Si nous sommes obligés de travailler, la cause n’est pas naturelle, elle est sociale. Travail et société de classe vont de pair. Le maître veut voir l’esclave produire parce que seul ce qui est produit est appropriable. La joie, le plaisir que l’on trouve dans une activité quelconque, cela ne peut être capitalisé, accumulé, traduit en argent par le capitaliste, alors il s’en fout. Lorsque nous travaillons nous sommes entièrement soumis à une autorité, à une loi extérieure, notre seule raison d’être c’est ce que nous produisons. Toute usine est un racket, où l’on pompe notre sueur et notre vie pour les transformer en marchandises.

Le temps passé à travailler est un temps où nous devons non pas satisfaire directement nos désirs mais sacrifier en attendant cette réparation ultérieure qu’est le salaire. C’est exactement le contraire du jeu, où le déroulement et le rythme de ce qu’on fait a pour maître le plaisir que l’on y prend. Le prolétariat en s’émancipant abolira le travail. La production des denrées nécessaires à notre survie biologique ne sera plus alors que le prétexte à la libération de nos passions.

LA REUNIONNITE

Une caractéristique significative du militantisme est le temps passé en réunions. Laissons de côté les débats consacrés à la grande stratégie : où en sont nos camarades de Bolivie, à quand la prochaine crise économique mondiale, la construction du parti révolutionnaire avance-t-elle...

Contentons-nous de nous pencher sur les réunions concernant le " travail quotidien ". C’est peut-être là que s’étale le mieux la misère du militantisme. A part quelques cas désespérés, les militants eux-mêmes se plaignent du nombre de ces " réunions qui n’avancent pas ". Même si les militants aiment se réchauffer entre eux ils ne peuvent pas ne pas souffrir de la contradiction évidente entre d’une part leur volonté d’agir et d’autre part le temps perdu en de vaines discussions, en des débats sans issue. Ils sont condamnés à rester dans une impasse car ils s’en prennent à la " réunionnite " sans voir que c’est tout le militantisme qui est en cause. La seule façon d’éliminer la réunionnite revient à fuir dans un activisme de moins en moins en prise sur la réalité.

QUE FAIRE ? COMMENT S’ORGANISER ? Voilà les questions qui sous tendent et provoquent les réunions. Or ces questions ne peuvent jamais, être réglées, leur solution n’avance jamais, parce que lorsque les militants se les posent, ils se les posent comme séparées de leur vie. La réponse n’est pas un rendez-vous parce que la question n’est pas posée par celui qui possède la solution concrète. On peut se réunir pendant des heures, se triturer le cerveau, cela ne fera pas surgir le support pratique qui manque aux idées. Alors que les questions sont des bagatelles pour le prolétariat révolutionnaire, parce que pour lui les problèmes de l’action et de l’organisation se posent concrètement, font partie de sa lutte, ils deviennent le PROBLEME pour les militants. La réunionnite est le complément nécessaire de l’activisme. En fait, le problème posé est toujours celui-là : comment fusionner avec le mouvement des masses tout en restant séparé de lui. La solution de ce dilemme est soit de fusionner réellement avec les masses en retrouvant la réalité de ses désirs et les possibilités de leur réalisation, soit de renforcer leur pouvoir en tant que militants, en se rangeant au côté du vieux monde contre le prolétariat. Les grèves sauvages montrent qu’il y a des risques !

Dans ses rapports avec les masses, le militantisme reproduit ses tares internes, notamment ses tendances à la réunionnite. On rassemble des gens et on les compte. Pour certains du genre AJS (1), se montrer et se compter devient même le summum de l’action !

Ces questions de l’action et de l’organisation, séparées déjà du mouvement réel, se trouvent mécaniquement séparées entre elles. Les diverses orientations du gauchisme concrétisent cette séparation. On trouve d’un côté avec les maos et l’ex-GP (Gauche Prolétarienne) le pôle de l’action, et de l’autre avec les trotskistes et la Ligue Communiste le pôle de l’organisation. On fétichise soit l’action, soit l’organisation pour sortir de l’impasse où en se séparant des masses le militantisme s’est plongé. Chacun protège sa crétinerie particulière en se gaussant de l’orientation des groupes concurrents.

LA BUREAUCRATIE

Les organisations de militants sont toutes hiérarchisées. Certaines organisations non seulement ne s’en cachent pas mais auraient même plutôt tendance à s’en vanter. D’autres se contentent d’en parler le moins possible. Enfin certains petits groupes essaient de le nier.

De même qu’elles reproduisent ou plutôt singent le travail les organisations militantes ont besoins de "patrons". Ne pouvant bâtir leur union à partir de leurs problèmes concrets, les militants sont naturellement portés à considérer que l’unification des décisions ne peut découler que de l’existence d’une direction. Ils n’imaginent pas que la vérité commune puisse jaillir des volontés particulières de sortir de la merde, elle doit être balancée et imposée du haut. Ils se représentent donc nécessairement la révolution comme un choc entre deux appareils d’état hiérarchisés, l’un étant bourgeois, l’autre prolétarien.

Ils ne savent rien de la bureaucratie, de son autonomie et de la façon dont elle résout ses contradictions internes. Les militants de base croient naïvement que les conflits entre dirigeants se réduisent à des conflits d’idées et que là, où on lui dit qu’il y a unité il y a effectivement unité. Sa grande fierté est d’avoir su discerner l’organisation ou la tendance pourvu de LA bonne direction. En adhérant à telle ou telle chapelle il adopte un système d’idées comme on enfile un costume. N’en ayant vérifié aucune base il sera prêt à en défendre toutes les conséquences et à répondre à toutes les objections avec un dogmatisme incroyable. A une époque où les curés sont déchirés par les crises spirituelles, le militant conserve la foi.

Forcé de tenir compte du mépris de plus en plus répandu à l’égard de toute forme d’autorité le militantisme a produit des rejetons d’un type nouveau. Certaines organisations prétendent qu’elles n’en sont pas et surtout dissimulent leur direction. Les bureaucrates se cachent pour mieux pouvoir tirer les ficelles.

Certaines organisations traditionnelles essaient de mettre en place des formes d’organisation parallèles permanentes ou pas. Elles espèrent, au nom de " l’autonomie prolétarienne ", récupérer ou tout au moins influencer des gens qui leur auraient autrement échappé.

On peut citer le Secours Rouge, l’O.J.T.R. et les Assemblées Ouvriers Paysans du PSU... De même, certains journaux indépendants ou satellites d’organisations prétendent n’exprimer que le point de vue des masses révolutionnaires ou de groupes autonomes de la base. Mentionnons les " Cahiers de Mai ", "Le technique en Lutte " , "L’outil des travailleurs "... Là où on refuse de poser clairement et les questions d’organisation et les questions de théorie sous le prétexte que l’heure de la construction du parti révolutionnaire n’est pas encore venue ou au nom d’un spontanéisme de pacotille (nous ne sommes pas une organisation, mais un rassemblement de braves mecs, une communauté ", etc. ) , on peut être sûr qu’il y a de la bureaucratie et même souvent du maoïsme. L’avantage du trotskisme, c’est que son fétichisme de l’organisation le contraint à afficher la couleur; il récupère en le disant. L’avantage du maoïsme (nous ne parlons pas de maoïsme pur et archéo-stalinien du genre "Humanité Rouge"), c’est qu’il crée les conditions de son propre débordement ; à force de jouer les équilibristes de la récupération il va se casser la gueule.

OBJECTIVITE ET SUBJECTIVITE

Les systèmes d’idées adoptés par les militants varient suivant les organisations, mais ils sont tous minés par la nécessité de masquer la nature de l’activité qu’il cachent et la séparation des masses. Aussi retrouve-t-on toujours au cœur des idéologies militantes la séparation entre objectivité et subjectivité conçue de façon mécanique et ahistorique.

Le militant qui se dévoue au service du peuple, même s'il ne nie pas que son activité a des motivations subjectives, refuse de leur accorder de l’importance. De toute façon ce qui est subjectif doit être éliminé au profit de ce qui est objectif. Le militant refusant d’être mu par ses désirs en est réduit à invoquer les nécessités historiques considérées comme extérieures au monde des désirs. Grâce au " socialisme scientifique ", forme figée d’un marxisme dégénéré, il croit pouvoir découvrir le sens de l’histoire et s’y adapter.

Il se grise avec des concepts dont la signification lui échappe : forces productives, rapports de production, loi de la valeur, dictature du prolétariat etc. Tout cela lui permet de se rassurer sur le sérieux de son agitation. Se mettant en dehors de " sa critique " du monde, il se condamne à ne rien comprendre à la marche de celui-ci.

La passion qu’il n’arrive pas à mettre dans sa vie quotidienne, il la reporte dans sa participation imaginaire au " spectacle révolutionnaire mondial ". La terre est ravalée au rang d’un théâtre de polichinelle où s’affrontent bons et méchants, impérialistes et anti-impérialistes. Il compense la médiocrité de son existence en s’identifiant aux stars de ce cirque planétaire. Le comble du ridicule a certainement été atteint avec le culte du " CHE ". Économiste délirant, piteux stratège, mais beau gosse, Guévara aura eu au moins la consolation de voir ses talents hollywoodiens récompensés. Un record dans la vente des posters.

Qu’est-ce que la subjectivité, sinon le résidu de l’objectivité, ce qu’une société fondée sur la reproduction marchande ne peut intégrer ? La subjectivité de l’artiste s’objective dans l’œuvre d’art. Pour le travailleur séparé des moyens de production et de l’organisation de sa propre production, la subjectivité reste à l’état de manies, de fantasme... Ce qui s’objective le fait par la grâce du capital, et devient lui-même capital. L’activité révolutionnaire comme le monde qu’elle préfigure dépasse la séparation entre objectivité et subjectivité. Elle objective la subjectivité et investit subjectivement le monde objectif. La révolution prolétarienne c’est l’irruption de la subjectivité !

Il ne s’agit pas de retomber dans le mythe d’une " vraie nature humaine ", de l’ " essence éternelle " de l’homme qui, réprimé par la Société, chercherait à revenir au grand jour. Mais si la forme et le but de nos désirs varient, ils ne se réduisent nullement au besoin de consommer tel ou tel produit. Déterminée historiquement par l’évolution et les nécessités de la production marchande, la subjectivité ne se plie nullement aux besoins de la consommation et de la production. Pour récupérer les désirs des consommateurs la marchandise doit s’adapter sans cesse. Mais elle reste incapable de satisfaire la volonté de vivre en réalisant totalement et directement nos désirs. A l’avant-garde de la provocation marchande, les vitrines subissent de plus en plus souvent la critique du pavé !

Ceux qui refusent de tenir compte de la réalité de LEURS désirs au nom de la " Pensée matérialiste " risquent de ne pas voir le poids de Nos désirs leur retomber sur la gueule.

Les militants et leurs idéologues, même diplômés de l’université, sont de moins en moins aptes à comprendre leur époque et à coller à l’histoire. Incapables de sécréter une pensée un tant soit peu moderne, ils en sont réduits à aller fouiller dans les poubelles de l’histoire pour y récupérer des idéologies qui ont fait, déjà depuis un certain temps, la preuve de leur échec : anarchisme, léninisme, trotskisme... Pour rendre le tout plus digeste ils l’assaisonnent d’un peu de maoïsme ou de castrisme mal compris. Ils se réclament du mouvement ouvrier mais confondent son histoire avec la construction d’un capitalisme d’état en Russie ou l’épopée bureaucratique - paysanne de " la longue marche " en Chine. Ils se prétendent marxistes, mais ne comprennent pas que le projet marxiste d’abolition du salariat, de la production marchande et de l’Etat, est indissociable de la prise du pouvoir par le prolétariat.

Les penseurs "marxistes" sont de plus en plus incapables de reprendre l’analyse des contradictions fondamentales du capitalisme qu’avait inaugurée Marx. Ils vont s’engluer sur le terrain de l’économie politique bourgeoise, tout en rabâchant des bêtises sur la loi de la valeur travail, la baisse tendancielle du taux de profit, la réalisation de la plus-value. Malgré leurs prétentions, ils ne comprennent rien à la marche du capitalisme moderne. Se croyant obligés d’utiliser un vocabulaire marxiste, dont ils ne connaissent pas le mode d’emploi, ils se coupent des quelques possibilités d’analyse qui restent à l’économie politique. Leurs "recherches " ne valent pas celles du premier disciple de Keynes venu.

MILITANTS ET CONSEILS OUVRIERS

Les organisations militantes s’autonomisent au - dessus des masses qu’elles ont la prétention de représenter. Elles sont naturellement amenées à considérer que ce n’est pas la classe ouvrière qui fait la révolution mais " les organisations de la classe ouvrière ". Il convient donc de renforcer ces dernières. Le prolétariat devient à la limite une matière brute, du fumier sur lequel va pouvoir s’épanouir cette rose rouge qu’est le Parti Révolutionnaire. Les nécessités de la récupération exigent qu’on ne parle pas trop de ça à l’extérieur ; c’est là que commence la démagogie.

L’autonomie des buts des organisations militantes doit être dissimulée. L’idéologie sert à ça. L’on proclame bien haut que l’on est au service du peuple, que l’on n’agit pas pour son bien propre et que si jamais pendant un court moment on est obligé de prendre le pouvoir on n’en abusera pas. Une fois que la classe ouvrière aura été bien éduquée on se dépêchera de lui rendre.

L’histoire des conseils ouvriers montre que systématiquement les organisations dites ouvrières ont cherché à jouer leur propre jeu et tirer les marrons du feu ; cela pour les meilleurs motifs évidemment. Pour assurer leur pouvoir, elles ont cherché à limiter, à récupérer et a détruire les formes d’organisation que le prolétariat s’était donné : soviets territoriaux, comités d’usine.

Les soviets russes ont été magouillés, puis liquidés par le parti et l’Etat bolchevique. En 1905 Lénine ne leur accorde pas d’importance. En 1917, au contraire, on proclame : " tout le pouvoir aux soviets". En 1921 les soviets qui ont servi de marchepied pour prendre le pouvoir deviennent gênants ; les ouvriers et les marins de Kronstadt qui réclament des soviets libres sont écrasés par l’Armée rouge.

En Allemagne, le gouvernement social-démocrate des "commissaires du peuple" se charge de liquider les conseils ouvriers au nom de la révolution.

En Espagne, de nouveau les communistes s’occupent de faire disparaître les formes de pouvoir populaire. Cela devait permettre de mieux développer la lutte contre le fascisme ! Ce n’est pas la peine d’accumuler les exemples. Toutes les expériences historiques ont confirmé l’antagonisme qui oppose prolétariat révolutionnaire et organisation militante. L’idéologie la plus extrémiste peut cacher la position la plus contre-révolutionnaire. Si certaines organisations ont pu cependant se battre à coté du prolétariat jusqu'à la défaite commune comme la Ligue Spartacus et la CNT - FAI anarcho-syndicaliste, rien ne prouve que ces organisations n’auraient pas commencé à lutter pour leur propre pouvoir une fois l’adversaire vaincu.

Les militants pour s’être cloîtrés en politique n’en restent pas moins des individus sociaux, soumis à l’influence de leur milieu. Lorsque ça chauffe, beaucoup peuvent passer dans le camp de la révolution. On a bien vu des délégués syndicaux prendre la tête de séquestrations ! Mais la désertion massive des militants sera d’autant plus probable que les conseils et les révolutionnaires conseillistes seront plus forts. Le mouvement peut être aidé dans ses succès par le renfort de nombreux militants, mais en cas d’erreurs ou de flottements le balancier jouera dans l’autre sens. Les organisations militantes seront renforcées par l’apport de prolétaires cherchant à se rassurer.

La liquidation des conseils ouvriers a été rendue possible par leur faiblesse, leur incapacité de faire appliquer en leur sein les règles de la démocratie directe et à prendre effectivement tout le pouvoir en écrasant tous les pouvoirs qui leur étaient extérieurs. Les organisations militantes ne sont en fait que la propre faiblesse extériorisée du prolétariat qui se retourne contre lui.

Les travailleurs feront de nouveau des erreurs. Ils ne trouveront pas immédiatement la forme adéquate de leur pouvoir. Moins les masses auront d’illusions sur le militantisme, plus le pouvoir des conseils aura de chance de se développer. Discréditer et ridiculiser les militants, voilà la tâche qui revient dès maintenant aux révolutionnaires. Cette tâche sera parachevée par la critique en acte que constituera la naissance d’organisations conseillistes. Ces organisations sauront très bien se passer d’une direction et d’un appareil bureaucratique. Produit de la solidarité de travailleurs combatifs, elles seront de libres associations d’individus autonomes. Elles montreront par leurs idées, mais surtout par leur comportement dans les luttes, qu’elles ne risquent jamais de poursuivre des intérêts distincts de ceux de l’ensemble du prolétariat.

Le développement du capitalisme moderne qui se traduit par l’occupation de tout l’espace social par les marchandises, par la généralisation du travail salarié, mais aussi par la dégradation des valeurs morales, le mépris du travail et des idéologies, augmentera la violence du choc. Les prolétaires iront beaucoup plus vite et beaucoup plus loin que par le passé. Si des organisations de militants ont pu jadis jouer un rôle révolutionnaire pendant un certain temps, cela ne sera plus possible. Ces organisations ne pourront être rapidement que de plus en plus contre-révolutionnaires lors des prochaines grandes batailles de la lutte.

Notes

(1) Alliance des Jeunes pour le Socialisme : organisation de jeunesse des trotskistes lambertistes de l’époque (Note de l'Éditeur).

 

 

3) De la misère en milieu étudiant

 

 

http://library.nothingness.org/articles/SI/fr/display_printable/12

 

 

Publié en 1966.

Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l'étudiant en France est, après le policier et le prêtre, l'être le plus universellement reprisé. Si les raisons pour lesquelles on le méprise sont souvent de fausses raisons qui relèvent de l'idéologie dominante, les raisons pour lesquelles il est effectivement méprisable et méprisé du point de vue de la critique révolutionnaire sont refoulées et inavouées. Les tenants de la fausse contestation savent pourtant les reconnaître, et s'y reconnaître. Ils inversent ce vrai mépris en une admiration complaisante. Ainsi l'impuissante intelligentsia de gauche (des Temps Modernes à l'Express) se pâme devant la prétendue "montée des étudiants", et les organisations bureaucratiques effectivement déclinantes (du parti dit communiste à l'U.N.E.F.) se disputent jalousement son appui "moral et matériel". Nous montrerons les raisons de cet intérêt pour les étudiants, et comment elles participent positivement à la réalité dominante du capitalisme surdéveloppé, et nous emploierons cette brochure à les dénoncer une à une : la désaliénation ne suit pas d'autre chemin que celui de l'aliénation.

Toutes les analyses et études entreprises sur le milieu étudiant ont, jusqu'ici, négligé l'essentiel. Jamais elles ne dépassent le point de vue des spécialisations universitaires (psychologie, sociologie, économie), et demeurent donc : fondamentalement erronées. Toutes, elles commettent ce que Fourier appelait déjà une étourderie méthodique "puisqu'elle porte régulièrement sur les questions primordiales", en ignorant le point de vue total de la société moderne. Le fétichisme des faits masque la catégorie essentielle, et les détails font oublier la totalité. On dit tout de cette société, sauf ce qu'elle est effectivement: marchande et spectaculaire. Les sociologues Bourderon et Passedieu, dans leur enquête "Les Héritiers: les étudiants et la culture" restent désarmés devant les quelques vérités partielles qu'ils ont fini par prouver. Et, malgré toute leur volonté bonne, ils retombent dans la morale des professeurs, l'inévitable éthique kantienne d'une démocratisation réelle par une rationalisation réelle du système d'enseignement c'est-à-dire de l'enseignement du système. Tandis que leurs disciples, les Kravetz se croient des milliers à se réveiller, compensant leur amertume petite-bureaucrate par le fatras d'une phraséologie révolutionnaire désuète.

La mise en spectacle de la réification sous le capitalisme moderne impose à chacun un rôle dans la passivité généralisée. L'étudiant n'échappe pas à cette loi. Il est un rôle provisoire, qui le prépare au rôle définitif qu'il assumera, en élément positif et conservateur, dans le fonctionnement du système marchand. Rien d'autre qu'une initiation.

Cette initiation retrouve, magiquement, toutes les caractéristiques de l'initiation mythique. Elle reste totalement coupée de la réalité historique, individuelle et sociale . L'étudiant est un être partagé entre un statut présent et un statut futur nettement tranchés, et dont la limite va être mécaniquement franchie. Sa conscience schizophrénique lui permet de s'isoler dans une "société d'initiation", méconnaît son avenir et s'enchante de l'unité mystique que lui offre un présent à l'abri de l'histoire. Le ressort du renversement de la vérité officielle, c'est-à-dire économique, est tellement simple à démasquer : la réalité étudiante est dure à regarder en face. Dans une "société d'abondance", le statut actuel de l'étudiant est l'extrême pauvreté. Originaires à plus de 80 % des couches dont le revenu est supérieur à celui d'un ouvrier, 90% d'entre eux disposent d'un revenu inférieur à celui du plus simple salarié La misère de l'étudiant reste en deçà de la misère de la société du spectacle, de la nouvelle misère du nouveau prolétariat. En un temps où une partie croissante de la jeunesse s'affranchit de plus en plus des préjugés moraux et de l'autorité familiale pour entrer au plus tôt dans les relations d'exploitation ouverte, l'étudiant se maintient à tous les niveaux dans une "minorité prolongée", irresponsable et docile. Si sa crise juvénile tardive s'oppose quelque peu à sa famille, il accepte sans mal d'être traité en enfant dans les diverses institutions qui régissent sa vie quotidienne.

La colonisation des divers secteurs de la pratique sociale ne fait que trouver dans le monde étudiant son expression la plus criante Le transfert sur les étudiants de toute la mauvaise conscience sociale masque la misère et la servitude de tous.

Mais les raisons qui fondent notre mépris pour l'étudiant sont d'un tout autre ordre. Elles ne concernent pas seulement sa misère réelle mais sa complaisance envers toutes les misères, sa propension malsaine à consommer béatement de l'aliénation, dans l'espoir, devant le manque d'intérêt général, d'intéresser à son manque particulier Les exigences du capitalisme moderne font que la majeure partie des étudiants seront tout simplement de petits cadres (c'est-à-dire l'équivalent de ce qu'était au XIX siècle la fonction d'ouvrier qualifié). Devant le caractère misérable, facile à pressentir, de cet avenir plus ou moins proche qui le "dédommagera" de la honteuse misère du présent, l'étudiant préfère se tourner vers son présent et le décorer de prestiges illusoires. La compensation même est trop lamentable pour qu'on s'y attache; les lendemains ne chanteront pas et baigneront fatalement dans la médiocrité C'est pourquoi il se réfugie dans un présent irréellement vécu.

Esclave stoïcien, l'étudiant se croit d'autant plus libre que toutes les chaînes de l'autorité le lient. Comme sa nouvelle famille, l'Université, il se prend pour l'être social le plus "autonome" alors qu'il relève directement et conjointement des deux systèmes les plus puissants de l'autorité sociale: la famille et l'Etat. Il est leur enfant rangé et reconnaissant. Suivant la même logique de l'enfant soumis, il participe à toutes les valeurs et mystifications du système, et les concentre en lui. Ce qui était illusions imposées aux employés devient idéologie intériorisée et véhiculée par la masse des futurs petits cadres.

Si la misère sociale ancienne a produit les systèmes de compensation les plus grandioses de l'histoire (les religions), la misère marginale étudiante n'a trouvé de consolation que dans les images les plus éculées de la société dominante la répétition burlesque de tous ses produits aliénés.

L'étudiant français, en sa qualité d'être idéologique arrive trop tard à tout. Toutes les valeurs et illusions qui font la fierté de son monde fermé sont déjà condamnées en tant qu'illusions insoutenables, depuis longtemps ridiculisées par l'histoire.

Récoltant un peu du prestige en miettes de l'Université, L'étudiant est encore content d'être étudiant. Trop tard. L'enseignement mécanique et spécialisé qu'il reçoit est aussi profondément dégradé (par rapport à l'ancien niveau de la culture générale bourgeoise) que son propre niveau intellectuel au moment où il y accède, du seul fait que la réalité qui domine tout cela, le système économique, réclame une fabrication massive d'étudiants incultes et incapables de penser. Que l'Université soit devenue une organisation -institutionnelle- de l'ignorance, que la "haute culture" elle-même se dissolve au rythme de la production en série des professeurs, que tous ces professeurs soient des crétins dont la plupart provoqueraient le chahut de n'importe quel public de lycée - L'étudiant l'ignore ; et il continue d'écouter respectueusement ses maîtres, avec la volonté consciente de perdre tout esprit critique afin de mieux communier dans l'illusion mystique d'être devenu un "étudiant", quelqu'un qui s'occupe sérieusement à apprendre un savoir sérieux, dans l'espoir qu'on lui confiera les vérités dernières. C'est une ménopause de l'esprit Tout ce qui se passe aujourd'hui dans les amphithéâtres des écoles et des facultés sera condamné dans la future société révolutionnaire comme bruit, socialement nocif. D'ores et déjà, l'étudiant fait rire.

L'étudiant ne se rend même pas compte que l'histoire altère aussi son dérisoire monde "fermé". La fameuse "Crise de l'Université", détail d'une crise plus générale du capitalisme moderne, reste l'objet d'un dialogue de sourds entre différents spécialistes. Elle traduit tout simplement les difficultés d'un ajustement tardif de ce secteur spécial de la production à une transformation d'ensemble de l'appareil productif. Les résidus de la vieille idéologie de l'Université libérale bourgeoise se banalisent au moment où sa base sociale disparaît. L'Université a pu se prendre pour une puissance autonome à l'époque du capitalisme de libre-echange et de son Etat libéral, qui lui laissait une certaine liberté marginale. Elle dépendait, en fait, étroitement des besoins de ce type de societé : donner à la minorité privilégiée, qui faisait des études, la culture générale adéquate, avant qu'elle ne rejoigne les rangs de la classe dirigeante dont elle était à peine sortie. D'où le ridicule de ces professeurs nostalgiques, aigris d'avoir perdu leur ancienne fonction de chiens de garde des futurs maîtres pour celle, beaucoup moins noble, de chiens de berger conduisant, suivant les besoins planifiés du système économique, les fournées de "cols blancs" vers leurs usines et bureaux respectifs. Ce sont eux qui opposent leurs archaïsmes à la technocratisation de l'Université, et contiluent imperturbablement à débiter les bribes d'une culture dite générale à de futurs spécialistes qui ne sauront qu'en faire.

Plus sérieux, et donc plus dangereux, sont les modernistes de la gauche et ceux de l'U.N.E.F. menés par les "ultras" de la F.G.E.L., qui revendiquent une "réforme de structure de l'Université", une "réinsertion de l'Université dans la vie sociale et économique", c'est-à-dire son adaptation aux besoins du capitalisme moderne. De dispensatrices de la "culture générale" à l'usage des classes dirigeantes, les diverses facultés et écoles, encore parées de prestiges anachroniques, sont transformées en usines d'élevage hâtif de petits cadres et de cadres moyens. Loin de contester ce processus historique qui subordonne directement un des derniers secteurs relativement autonome de la vie sociale aux exigences du système marchand, nos progressistes protestent contre les retards et défaillances que subit sa réalisation. Ils sont les tenants de la future Université cybernétisée qui s'annonce déjà çà et là. Le système marchand et ses serviteurs modernes, voila l'ennemi.

Mais il est normal que tout ce débat passe par-dessus la tête de l'étudiant, dans le ciel de ses maîtres et lui échappe totalement: l'ensemble de sa vie, et a fortiori de sa vie, lui échappe.

De par sa situation économique d'extrême pauvreté, l'étudiant est condamné à un certain mode de survie très peu enviable. Mais toujours content de son être, il érige sa triviale misère en "style de vie" original: le misérabilisme et la bohème. Or, la "bohème", déjà loin d'être une solution originale, n'est jamais authentiquement vécue qu'après une rupture complète et irréversible avec le milieu universitaire. Ses partisans parmi les étudiants (et tous se targuent de l'être un peu) ne font donc que s'accrocher à une version factice et dégradée de ce qui n'est, dans le meilleur des cas, qu'une médiocre solution individuelle. Ils méritent jusqu'au mépris des vieilles dames de la campagne. Ces "originaux" continuent, trente ans après W. Reich, cet excellent éducateur de la jeunesse, à avoir les comportements érotiques-amoureux les plus traditionnels, reproduisant les rapports généraux de la société de classes dans leurs rapports inter-sexuels. L'aptitude de l'étudiant à faire un militant de tout acabit en dit long sur son impuissance.

Dans la marge de liberté individuelle permise par le spectacle totalitaire, et malgré son emploi du temps plus ou moins lâche, l'étudiant ignore encore l'aventure et lui préfère un espace-temps quotidien étriqué, aménagé à son intention par les garde-fous du même spectacle.

Sans y être contraint, il sépare de lui-même travail et loisirs, tout en proclamant un hypocrite mépris pour les "bosseurs" et les "bêtes à concours". Il entérine toutes les séparations et va ensuite gémir dans divers "cercles" religieux, sportifs, politiques ou syndicaux, sur la non communication. Il est si bête et si malheureux qu'il va même jusqu'à se confier spontanément et en masse au contrôle parapolicier des psychiatres et psychologues, mis en place à son usage par l'avant-garde de l'oppression moderne, et donc applaudi par ses "représentants" qui voient naturellement dans ces Bureaux d'Aide Psychologique Universitaire (B.A.P.U.) une conquête indispensable et méritée.

Mais la misère réelle de la vie quotidienne étudiante trouve sa compensation immédiate, fantastique, dans son principal opium: la marchandise culturelle. Dans le spectacle culturel, l'étudiant retrouve naturellement sa place de disciple respectueux. Proche du lieu de production sans jamais y accéder -le Sanctuaire lui reste interdit- l'étudiant découvre la "culture moderne" en spectateur admiratif. A une époque où l'art est mort, il reste le principal fidele des théâtres et des ciné-clubs, et le plus avide consommateur de son cadavre congelé et diffusé sous cellophane dans les supermarchés pour les ménagères de l'abondance. II y participe sans réserve, sans arrière-pensée et sans distance. C'est son élément naturel. Si les "maisons de la culture" n'existaient pas, I'étudiant les aurait inventées. II vérifie parfaitement les analyses les plus banales de la sociologie américaine du marketing: consommation ostentatoire, établissement d'une différenciation publicitaire entre produits identiques dans la nullité (Pérec ou RobbeGrillet; Godard ou Lelouch).

Et, des que les "dieux" qui produisent ou organisent son spectacle culturel s'incarnent sur scène, il est leur principal public, leur fidèle rêvé. Ainsi assiste-t-il en masse à leurs démonstrations les plus obscènes; qui d'autre que lui peuplerait les salles quand, par exemple, les curés des différentes églises viennent exposer publiquement leurs dialogues sans rivages (semaines de la pensée dite marxiste, réunions d'intellectuels catholiques) ou quand les débris de la littérature viennent constater leur impuissance (cinq mille étudiants à "Que peut la littérature ?").

Incapable de passions réelles, il fait ses délices des polémiques sans passion entre les vedettes de l'intelligence , sur de faux problèmes dont la fonction est de masquer les vrais : Althusser - Garaudy - Sartre - Barthes - Picard - Lefebvre - Levi Strauss - Halliday - Chatelet - Antoine. Humanisme - Existentialisme - Structuralisme - Scientisme - Nouveau Criticisme - Dialecto-naturalisme Cybernétisme - Planétisme - Métaphilosophisme.

Dans son application, il se croit. d'avant-garde parce qu'il a vu le dernier Godard, acheté le dernier livre argumentiste, participé au dernier happening de Lapassade, ce con. Cet ignorant prend pour des nouveautés "révolutionnaires", garanties par label, les plus pâles ersatz d'anciennes recherches effectivement importantes en leur temps, édulcorées à l'intention du marché. La question est de toujours préserver son standing culturel. L'étudiant est fier d'acheter, comme tout le monde, les rééditions en livre de poche d'une série de textes importants et difficiles que la "culture de masse" répand à une cadence accélérée. Seulement, il ne sait pas lire. Il se contente de les consommer du regard.

Ses lectures préférées restent la presse spécialisée qui orchestre la consommation délirante des gadgets culturels; docilement, il accepte ses oukases publicitaires et en fait la reférence-standard de ses goûts. IL fait encore ses délices de l'Express et de l'Observateur, ou bien il croit que le Monde, dont le style est déjà trop difficile pour lui, est vraiment un journal "objectif" qui reflète l'actualité Pour approfondir ses connaissances générales, il s'abreuve de Planète, la revue magique qui enlève les rides et les points noirs des vieilles idées. C'est avec de tels guides qu'il croit participer au monde moderne et s'initier à la politique.

Car l'étudiant, plus que partout ailleurs, est content d'être politisé. Seulement, il ignore qu'il y participe à travers le même spectacle. Ainsi se réapproprie-t-il tous les restes en lambeaux ridicules d'une gauche qui fut anéantie voilà plus de quarante ans, par le réformisme "socialiste" et par la contre-révolution stalinienne. Cela, il l'ignore encore, alors que le Pouvoir le sait clairement, et les ouvriers d'une façon confuse. Il participe, avec une fierté débile, aux manifestations les plus dérisoires qui n'attirent que lui. La fausse conscience politique se trouve chez lui à I'état pur, et l'étudiant constitue la base idéale pour les manipulations des bureaucrates fantomatiques des organisations mourantes (du Parti dit Communiste à l'U.N.E.F.). Celles-ci programment totalitairement ses options politiques ; tout écart ou velléité d'"indépendance" rentre docilement, après une parodie de résistance, dans un ordre qui n'a jamais été un instant mis en question. Quand il croit aller outre, comme ces gens qui se nomment, par une véritable maladie de l'inversion publicitaire, J C.R., alors qu'ils ne sont ni jeunes, ni communistes, ni révolutionnaires, c'est pour se rallier gaiement au mot d'ordre pontifical : Paix au Viet-Nam.

L'étudiant est fier de s'opposer aux "archaïsmes" d'un de Gaulle, mais ne comprend pas qu'il le fait au nom d'erreurs du passé, de crimes refroidis (comme le stalinisme à l'époque de Togliatti - Garaudy - Krouchtchev - Mao) et qu'ainsi sa jeunesse est encore plus archaïque que le pouvoir qui, lui, dispose effectivement de tout ce qu'il faut pour administrer une société moderne.

Mais l'étudiant n'en est pas à un archaïsme près. Il se croit tenu d'avoir des idées générales sur tout, des conceptions cohérentes du monde, qui donnent un sens à son besoin d'agitation et de promiscuité asexuée.

C'est pourquoi, joué par les dernières fébrilités des églises, il se rue sur la vieillerie des vieilleries pour adorer la charogne puante de Dieu et s'attacher aux débris décomposés des religions préhistoriques, qu'il croit dignes de lui et de son temps On ose à peine le souligner, le milieu étudiant est, avec celui des vieilles femmes de province, le secteur où se maintient la plus forte dose de religion professée, et reste encore la meilleure "terre de missions" (alors que, dans toutes les autres, on a déjà mangé ou chassé les curés), où des prêtres-étudiants continuent à sodomiser, sans se cacher, des milliers d'étudiants dans leurs chiottes spirituelles.

Certes, il existe tout de même, parmi les étudiants, des gens d'un niveau intellectuel suffisant. Ceux-là dominent sans fatigue les misérables contrôles de capacité prévus pour les médiocres, et ils les dominent justement parce qu'ils ont compris le système, parce qu'ils le méprisent et se savent ses ennemis. Ils prennent dans le système des études ce qu'il a de meilleur : les bourses. Profitant des failles du contrôle, que sa logique propre oblige actuellement et ici à garder un petit secteur purement intellectuel, la "recherche", ils vont tranquillement porter le trouble au plus haut niveau : leur mépris ouvert à l'égard du système va de pair avec la lucidité qui leur permet justement d'être plus forts que les valets du système, et tout d'abord intellectuellement.

Les gens dont nous parlons figurent en fait déjà parmi les théoriciens du mouvement révolutionnaire qui vient, et se flattent d'être aussi connus que lui quand on va commencer à en parler. Ils ne cachent à personne que ce qu'ils prennent si aisément au "système des études" est utilisé pour sa destruction. Car l'étudiant ne peut se révolter contre rien sans se révolter contre ses études, et la nécessité de cette révolte se fait sentir moins naturellement que chez l'ouvrier, qui se révolte spontanément contre sa condition.

Mais l'étudiant est un produit de la société moderne, au même titre que Godard et le Coca-Cola. Son extrême aliénation ne peut être contestée que par la contestation de la société toute entière. En aucune façon cette critique ne peut se faire sur le terrain étudiant : l'étudiant, comme tel, s'arroge une pseudo-valeur, qui lui interdit de prendre conscience de sa dépossession réelle et, de ce fait, il demeure au comble de la fausse conscience. Mais, partout où la société moderne commence à être contestée, il y a révolte de la jeunesse, qui correspond immédiatement à une critique totale du comportement étudiant.

Après une longue période de sommeil léthargique et de contre-révolution permanente, s'esquisse, depuis quelques années, une nouvelle période de contestation dont la jeunesse semble être la porteuse. Mais la société du spectacle, dans la représentation qu'elle se fait d'elle-même et de ses ennemis, impose ses catégories idéologiques pour la compréhension du monde et de l'histoire. Elle ramène tout ce qui s'y passe à l'ordre naturel des choses, et enferme les véritables noveautés qui annoncent son dépassement dans le cadre restreint de son illusoire nouveauté. La révolte de la jeunesse contre le mode de vie qu'on lui impose n'est, en réalité, que le signe avant-coureur d'une subversion plus vaste qui englobera l'ensemble de ceux qui éprouvent de plus en plus l'impossibilité de vivre, le prélude à la prochaine époque révolutionnaire. Seulement l'idéologie dominante et ses organes quotidiens, selon des mécanismes éprouvés d'inversion de la réalité, ne peuvent que réduire ce mouvement historique réel à une pseudo-catégorie socio-naturelle : l' Idée de la Jeunesse (dont il serait dans l'essence d'être révoltée). Ainsi ramène-t-on une nouvelle jeunesse de la révolte à l'éternelle révolte de la jeunesse, renaissant à chaque génération pour s'estomper quand le "le jeune homme est pris par le sérieux de la production et par l'activité en vue des fins concrètes et véritables". La "révolte des jeunes "a été et est encore l'objet d'une véritable inflation journalistique qui en fait le spectacle d'une "révolte" possible à donner contempler pour empêcher qu'on la vive, la sphère aberrante -déjà intégrée- nécessaire au fonctionnement du système social ; cette révolte contre la société rassure la société parce qu'elle est censée rester partielle, dans l'apartheid des "problèmes" de la jeunesse -comme il y aurait des problèmes de la femme, ou un problème noir- et ne durer qu'une partie de la vie. En réalité, s'il y a un problème de la "jeunesse" dans la société moderne, c'est que la crise profonde de cette société est ressentie avec le plus d'acuité par la jeunesse. Produit par excellence de cette société moderne, elle est elle-même moderne, soit pour s'y intégrer sans réserves, soit pour la refuser radicalement. Ce qui doit surprendre, ce n'est pas tant que la jeunesse soit révoltée, mais que les "adultes" soient si résignés. Ceci n'a pas une explication mythologique, mais historique : la générationprécédente a connu toutes les défaites et consommé tous les mensonges de la période de désagrégation honteuse du mouvement révolutionnaire.

 

Considérée en elle même, la "Jeunesse" est un mythe publicitaire déjà profondément lié au mode de production capitaliste, comme expression de son dynamisme. Cette illusoire primauté de la jeunesse est devenue possible avec le redémarrage de l'économie, après la Deuxième Guerre mondiale, par suite de l'entrée en masse sur le marché de toute une catégorie de consommateurs plus malléables, un rôle qui assure un brevet d'intégration à la société du spectacle. Mais l'explication dominante du monde se trouve de nouveau en contradiction avec la réalité socio-économique (car en retard sur elle) et c'est justement la jeunesse qui, la première, affirme une irrésistible fureur de vivre et s'insurge spontanément contre l'ennui quotidien et le temps mort que le vieux monde continue à secréter à travers ses différentes modernisations. La fraction révoltée de la jeunesse exprime le pur refus sans la conscience d'une perspective de dépassement, son refus nihiliste. Cette perspective se cherche et se constitue partout dans le monde. Il lui faut atteindre la cohérence de la critique théorique et l'organisation pratique de cette cohérence.

Au niveau le plus sommaire, les "Blousons noirs", dans tous les pays, expriment avec le plus de violence apparente le refus de s'intégrer. Mais le caractère abstrait de leur refus ne leur laisse aucune chance d'échapper aux contradictions d'un système dont ils sont le produit négatif spontané. Les "Blousons noirs" sont produits par tous les côtés de l'ordre actuel : l'urbanisme des grands ensembles, la décomposition des valeurs, l'extension des loisirs consommables de plus en plus ennuyeux, le contrôle humaniste-policier de plus en plus étendu à toute la vie quotidienne, la survivance économique de la cellule familiale privée de toute signification. Ils méprisent le travail mais ils acceptent les marchandises. Ils voudraient avoir tout ce que la publiccité leur montre, tout de suite et sans qu'ils puissent le payer. Cette contradiction fondamentale domine toute leur existence, et c'est le cadre qui emprisonne leur tentative d'affirmation pour la recherche d'une véritable liberté dans l'emploi du temps, l'affirmation individuelle et la constitution d'une sorte de communauté. (Seulement, de telles micro-communautés recomposent, en marge de la société développée, un primitivisme où la misère recrée inéluctablement la hiérarchie de la bande. Cette hiérarchie, qui ne peut s'affirmer que dans la lutte contre d'autres bandes, isole chaque bande et, dans chaque bande, l'individu). Pour sortir de cette contradiction, le "Blouson noir" devra finalement travailler pour acheter des marchandises -et là tout un secteur de la production est expressément fabriqué pour sa récupération en tant que consommateurs (motos, guitares électriques, vêtements, disques, etc.)- ou bien il doit s'attaquer aux lois de la marchandise, soit de façon primaire en la volant, soit d'une façon consciente en s'élevant à la critique révolutionnaire du monde de la marchandise. La consommation adoucit les moeurs de ces jeunes révoltés, et leur révolte retombe dans le pire conformisme. Le monde des Blousons noirs n'a d'autre issue que la prise de conscience révolutionnaire ou l'obéissance aveugle dans les usines.

Les Provos constituent la première forme de dépassement de l'expérience des "Blousons noirs", de l'organisation de sa première expression politique. Ils sont nés à la faveur d'une rencontre entre quelques déchets de l'art décomposé en quête de succès et une masse de jeunes révoltés en quête d'affirmation. Leur organisation a permis aux uns et aux autres d'avancer et d'accéder à un nouveau type de contestation. Les "artistes" ont apporté quelques tendances, encore très mysttifiées, vers le jeu, doublées d'un fatras idéologique ; les jeunes révoltés n'avaient pour eux que la violence de leur révolte. Dès la formation de leur organisation, les deux tendances sont restées distinctes ; la masse sans théorie s'est trouvée d'emblée sous la tutelle d'une mince couche de dirigeants suspects qui essaient de maintenir leur "pouvoir" par la sécrétion d'une idéologie provotarienne. Au lieu que la violence des "Blousons noirs" passe sur le plan des idées dans une tentative de dépassement de l'art, c'est le réformisme néo-artistique qui l'a emporté. Les Provos sont l'expression du dernier réformisme produit par le capitalisme moderne : celui de la vie quotidienne. Alors qu'il ne faut pas moins d'une révolution ininterrompue pour changer la vie, la hiérarchie Provo croit -- comme Bernstein croyait transformer le capitalisme en socialisme par les réformes -- qu'il suffit d'apporter quelques améliorations pour modifier la vie quotidienne. Les Provos, en optant pour le fragmentaire, finissent par accepter la totalité. Pour se donner une base, leurs dirigeants ont inventé la ridicule idéologie du Provotariat (salade artistico-politique innocemment composée avec des restes moisis d'une fête qu'ils n'ont pas connue), destinée, selon eux, à s'opposer à la prétendue passivité et à l'embourgeoisement du Prolétariat, tarte à la crème de tous les crétins du siècle. Parce qu'ils désespèrent de transformer la toatalité, ils désespèrent des forces qui, seules, portent l'espoir d'un dépassement possible. Le Prolétariat est le moteur de la société capitaliste, et donc son danger mortel : tout est fait pour le réprimer (partis, syndicats bureaucratiques, police, plus souvent que contre les Provos, colonisation de toute sa vie), car il est la seule force réellement mençante. Les Provos n'ont rien compris de cela : ainsi, ils restent incapables de faire la critique du système de production, et donc prisonniers de tout le système. Et quand, dans une émeute ouvrière anti-syndicale, leur base s'est ralliée à la violence directe, les dirigeants étaient complètement dépassés par le mouvement et, dans leur affolement, ils n'ont rien trouvé de mieux à faire que dénoncer les "excès" et en appeler au pacifisme, renonçant lamentablement à leur programme : provoquer les autorités pour en montrer le caractère répressif (et criant qu'ils étaient provoqués par la police). Et, pour comble, ils ont appelé, de la radio, les jeunes émeutiers à se laisser éduquer par les "Provos", c'est à dire par les dirigeants, qui ont largement montré que leur vague "anarchisme" n'est qu'un mensonge de plus. La base révoltée des Provos ne peut accéder à la critique révolutionnaire qu'en commençant par se révolter contre ses chefs, ce qui veut dire rallier les forces révolutionnaires objectives du Prolétariat et se débarasser d'un Constant, l'artiste officiel de la Hollande Royale, ou d'un De Vries, parlementaire raté et admirateur de la police anglaise. Là, seulement, les Provos peuvent rejoindre la contestation moderne authentique qui a déjà une base réelle chez eux. S'ils veulent réellement transformer le monde, ils n'ont que faire de ceux qui veulent se contenter de le peindre en blanc.

En se révoltant contre leurs études, les étudiants américains ont immédiatement mis en question une société qui a besoin de telles études. De même que leur révolte (à Berkeley et ailleurs) contre la hiérarchie universitaire s'est d'emblée affirmée comme révolte contre tout le système social basé sur la hiérarchie et la dictature de l'économie et de l'Etat . En refusant d'intégrer les entreprises, auxquelles les destinaient tout naturellement leurs études spécialisées, ils mettent profondément en question un système de production où toutes les activités et leur produit échappent totalement à leurs auteurs. Ainsi, à travers des tâtonnements et une confusion encore très importante, la jeunesse américaine en révolte en vient-elle à chercher, dans la "société d'abondance", une alternative révolutionnaire cohérente. Elle reste largement attachée aux deux aspects relativement accidentels de la crise américaine : les Noirs et le Viet-Nam ; et les petites organisations qui constituent "la Nouvelle Gauche" s'en ressentent lourdement. Si, dans leur forme, une authentique exigence de démocratie se fait sentir, la faiblesse de leur contenu subversif les fait retomber dans des contradictions dangereuses. L'hostilité à la politique traditionnelle des vieilles organisations est facilement récuprérée par l'ignorance du monde politique, qui se traduit par un grand manque d'informations, et des illusions sur ce qui se passe effectivement dans le monde. L'hostilité abstraite à leur société les conduit à l'admiration ou à l'appui de ses ennemis les plus apparents : les bureaucraties dites socialistes, la Chine ou Cuba. Ainsi trouve-t-on dans un groupe comme "Resurgence Youth Movement", et en même temps une condamnation à mort de l'Etat et une éloge de la "Révolution Culturelle" menée par la bureaucratie la plus gigantesque des temps modernes : la Chine de Mao. De même que leur organisation semi-libertaire et non directive risque, à tout moment, par le manque manifeste de contenu, de retomber dans l'idéologie de la "dynamique des groupes" ou dans le monde fermé de la Secte. La consommation en masse de la drogue est l'expression d'une misère réelle et la protestation contre cette misère réelle : elle est la fallacieuse recherche de liberté dans un monde sans liberté, la critique religieuse d'un monde qui a lui-même dépassé la religion. Ce n'est pas par hasard qu'on la trouve surtout dans les milieux beatniks (cette droite des jeunes révoltés), foyers du refus idéologique et de l'acceptation des superstitions les plus fantastiques (Zen, spiritisme, mysticisme de la "New Church" et autres pourritures comme le Gandhisme ou l'Humanisme ...). A travers leur recherche d'un programme révolutionnaire, les étudiants américains commettent la même erreur que les "Provos" et se proclament "la classe la plus exploitée de la société" ; ils doivent, dès à présent, comprendre qu'ils n'ont pas d'intérêts distincts de tous ceux qui subissent l'oppression généralisée et l'esclavage marchand.

A l'Est, le totalitarisme bureaucratique commence à produire ses forces négatives. La révolte des jeunes y est particulièrement virulente, et n'est connue qu'à travers les dénonciations qu'en font les différents organes de l'appareil ou les mesures policières qu'il prend pour les contenir. Nous apprenons ainsi qu'une partie de la jeunesse ne "respecte" plus l'ordre moral et familial (tel qu'il existe sous sa forme bourgeoise la plus détestable), s'adonne à la "débauche", méprise le travail et n'obéit plus à la police du parti. Et, en U.R.S.S., on nomme un ministre expressément pour combattre le hooliganisme. Mais, parallèlement à cette révolte diffuse, une contestation plus élaborée tente de s'affirmer, et les groupes ou petites revues clandestines apparaissent et disparaissent selon les fluctuations de la répression policière. Le fait le plus important a été la publication par les jeunes Polonais Kuron et Modzelewski de leur "Lettre ouverte au Parti Ouvrier Polonais". Dans ce texte, ils affirment expressément "la nécessité de l'abolitaion des rapports de production et des relations sociales actuelles" et voient qu'à cette fin "la révolution est inéluctable". L'intelligentsia des pays de l'Est cherche actuellement à rendre conscientes et à formuler clairement les raisons de cette critique que les ouvriers ont concrétisée à Berlin-Est, à Varsovie et à Budapest, la critique prolétarienne du pouvoir de classe bureaucratique. Cette révolte souffre profondément du désavantage de poser d'emblée les problèmes réels, et leur solution. Si, dans les autres pays, le mouvement est possible, mais le but reste mystifié, dans les bureaucraties de l'Est, la contestation est sans illusion, et ses buts connus. Il s'agit pour elle d'inventer les formes de leur réalisation, de s'ouvrir le chemin qui y mène.

Quant à la révolte des jeunes Anglais, elle a trouvé sa première expression organisée dans le mouvement anti-atomique. Cette lutte partielle, ralliée autour du vague programme du Comité des Cent -- qui a pu rassembler jusqu'à 300.000 manifestants -- a accompli son plus beau geste au printemps 1963 avec le scandale R.S.G. 6 . Elle ne pouvait que retomber, faute de perspectives, récupérée par les belles âmes pacifistes. L'archaïsme du contrôle dans la vie quotidienne, caractéristique de l'Angleterre, n'a pu résister à l'aasaut du monde moderne, et la décomposition accélérée des valeurs séculaires engendre des tendances profondément révolutionnaires dans la critique de tous les aspects du mode de vie. Il faut que les exigences de cette jeunesse rejoignent la résistance d'une classe ouvrière qui compte parmi les plus combatives du monde, celle des shop-stewards et des grèves sauvages, et la victoire de leurs luttes ne peut être recherchée que dans des perspectives communes. L'écroulement de la social-démocratie au pouvoir ne fait que donner une chance supplémentaire à leur rencontre. Les explosions qu'occasionnera une telle rencontre seront autrement plus formidables que tout ce qu'on a vu à Amsterdam. L'émeute provotarienne ne sera, devant elles, qu'un jeu d'enfants. De là seulement peut naître un véritable mouvement révolutionnaire, où les besoins pratiques auront trouvé leur réponse.

Le Japon est le seul parmi les pays industriellement avancés où cette fusion de la jeunesse étudiante et des ouvriers d'avant-garde soit déjà réalisée.

Zengakuren , la fameuse organisation des Etudiants révolutionnaires et la Ligue des jeunes travailleurs marxistes sont les deux importantes organisations formées sur l'orientation commune de la Ligue Communiste Révolutionnaire . Cette formation en est déjà à se poser le problème de l'organisation révolutionnaire. Elle combat simultanément, et sans illusions, le Capitalisme à l'Ouest et la Bureaucratie des pays dits socialistes. Elle groupe déjà quelques milliers d'étudiants et d'ouvriers organisés sur une base démocratique et anti-hiérarchique, sur la participation de tous les membres à toutes les activités de l'organisation. Ainsi les révolutionnaires japonais sont-ils les premiers dans le monde à mener déjà de grandes luttes organisées, se référant à un programme avancé, avec une large participation des mase. Sans arrêt, des milliers d'ouvriers et d'étudiants descendent dans la rue et affrontent violemment la police japonaise. Cependant, la L.C.R., bien qu'elle les combatte fermement, n'explique pas complètement et conrètement les deux systèmes. Elle cherche encore à définir précisément l'exploitation bureaucratique, de même qu'elle n'est pas encore arrivée à formuler explicitement les caractères du Capitalisme moderne, la critique de la vie quotidienne et la critique du spectacle. La Ligue Communiste Révolutionnaire reste fondamentalement une organisation prolétarienne clasique. Elle est actuellement la plus importante formation révolutionnaire du monde, et doit être, d'ores et déjà, un des pôles de discussion et de rassemblement pour la nouvelle critique révolutionnaire prolétarienne dans le monde.

"Etre d'avant-garde, c'est marcher au pas de la réalité". La critique radicale du monde moderne doit avoir maintenant pour objet et pour objectif la "totalité". Elle doit porter indissolublement sur son passé réel, sur ce qu'il est effectivement et sur les perspectives de sa transformation. C'est que, pour pouvoir dire toute la vérité du monde actuel et, a fortiori , pour formuler le projet de sa subversion totale, il faut être capable de révéler toute son histoire cachée, c'est à dire regarder d'une façon totalement démystifiée et fondamentalement critique, l'histoire de tout le mouvement révolutionnaire international, inaugurée voilà plus d'un siècle par le prolétariat des pays d'Occident, ses "échecs" et ses "victoires". "Ce mouvement contre l'ensemble de l'organisation du vieux monde est depuis longtemps fini" et a échoué . Sa dernière manifestation historique étant la défaite de la révolution prolétarienne en Espagne (à Barcelone, en mai 1937). Cependant, ses "échecs" officiels, comme ses "victoires" officielles, doivent être jugés à la lumière de leurs prolongements, et leurs vérités rétablies. Ainsi, nous pouvons affirmer qu'"il y a des défaites qui sont des victoires et des victoires plus honteuses que des défaites" (Karl Liebknecht à la veille de son assassinat). La première grande "défaite" du pouvoir prolétarien, la Commune de Paris, est en réalité sa première grande victoire car, pour la première fois, le Prolétariat primitif a affirmé sa capacité historique de diriger d'une façon libre tous les aspects de la vie sociale. De même que sa première grande "victoire", la révolution bolchévique, n'est en définitive que sa défaite la plus lourde de conséquences. Le triomphe de l'ordre bolchevik coïncide avec le mouvement de contre-révolution internationale qui commença avec l'écrasement des Spartakistes par la "Social-démocratie" allemande. Leur triomphe commun était plus profond que leur opposition apparente, et cet odre bolchevik n'était, en définitive, qu'un déguisement nouveau et une figure particulière de l'ordre ancien. Les résultats de la contre-révolution russe furent, à l'intérieur, l'établissement et le développement d'un nouveau mode d'exploitation, le capitalisme bureaucratique d'Etat et, à l'extérieur, la multiplication des sections de l'Internationale dite communiste, succursales destinées à le défendre et à répandre son modèle. Le capitalisme, sous ses différentes variantes bureaucratiques et bourgeoises, florissait de nouveau sur les cadavres des marins de Kronstadt et des paysans d'Ukraine, des ouvriers de Berlin, Kiel, Turin, Shangaï, et plus tard de Barcelone.

La IIIº Internationale, apparemment créée par les Bolcheviks pour lutter contre les débris de la social-démocratie réformiste de la IIº Internationale, et grouper l'avant-garde prolétarienne dans les "partis communistes révolutionnaires", était trop liée à ses créateurs et à leurs intérêts pour pouvoir réaliser, où que ce soit, la véritable révolution socialiste . En fait la IIº Internationale était la vérité de la IIIº. Très tôt, le modèle russe s'imposa aux organisations ouvrières d'Occident, et leurs évolutions furent une seule et même chose. A la dictature totalitaire de la Bureaucratie, nouvelle classe dirigeante, sur le prolétariat russe, correspondait au sein de ces organisations la domination d'une couche de bureaucrates politiques et syndicaux sur la grande masse des ouvriers, dont les intérêts sont devenus franchement contradictoires avec les siens. Le monstre stalinien hantait la conscience ouvrière, tandis que le Capitalisme, en voie de bureaucratisation et de surdéveloppement, résolvait ses crises internes et affirmait tout fièrement sa nouvelle victoire, qu'il prétend permanente. Une même forme sociale, apparemment divergente et variée, s'empare du monde, et les principes du vieux monde continuent à gouverner notre monde moderne . Les morts hantent encore les cerveaux des vivants.

Au sein de ce monde, des organisations prétendument révolutionnaires ne font que le combattre apparemment, sur son terrain propre, à travers les plus grandes mystifications. Toutes se réclament d'idéologies plus ou moins pétrifiées, et ne font en définitive que participer à la consolidation de l'ordre dominant. Les syndicats et les partis politiques forgés par la classe ouvrière pour sa propre émancipation sont devenus de simples régulateurs du système, propriété privée de dirigeants qui travaillent à leur émancipation particulière et trouvent un statut dans la classe dirigeante d'une société qu'ils ne pensent jamais mettre en question. Le programme réel de ces syndicats et partis ne fait que reprendre platement la phraséologie "révolutionnaire" et appliquer en fait les mots d'ordre du réformisme le plus édulcoré, puisque le capitalisme lui-même se fait officiellement réformiste. Là où ils ont pu prendre le pouvoir -dans des pays plus arriérés que la Russie- ce n'était que pour reproduire le modèle stalinien du totalitarisme contre révolutionnaire. Ailleurs, ils sont le complément statique à l'autorégulation du Capitalisme bureaucratisé ; la contradiction indispensable au maintien de son humanisme policier. D'autre part, ils restent, vis-àvis des masses ouvrières, les garants indéfectibles et les défenseurs inconditionnels de la contre-révolution bureaucratique, les instruments dociles de sa politique étrangère. Dans un monde fondamentalement mensonger, ils sont les porteurs du mensonge le plus radical, et travaillent à la pérenninté de la dictature universelle de l'Economie et de l'Etat. Comme l'affirment les situationnistes, "un modèle social universellement dominant, qui tend à l'autorégulation totalitaire, n'est qu'apparemment combattu par des fausses contestations posées en permanence sur son propre terrain, illusions qui, au contraire, renforcent ce modèle. Le pseudo-socialisme bureaucratique n'est que le plus grandiose de ces déguisements du vieux monde hiérarchique du travail aliéné". Le syndicalisme étudiant n'est dans tout cela que la caricature d'une caricature, la répétition burlesque et inutile d'un syndicalisme dégénéré.

La dénonciation théorique et pratique du stalinisme sous toutes ses formes doit être la banalité de base de toutes les futures organisations révolutionnaires. Il est clair qu'en France, par exemple, où le retard économique recule encore la conscience de la crise, le mouvement révolutionnaire ne pourra renaître que sur les ruines du stalinisme anéanti. La destruction du stalinisme doit devenir le "delenda Carthago de la dernière révolution de la préhistoire.

Celle-ci doit elle-même rompre définitivement , avec sa propre préhistoire, et tirer toute sa poésie de l'avenir. Les "Bolcheviks ressuscités" qui jouent la farce du "militantisme" dans les différents groupuscules gauchistes, sont des relents du passé, et en aucune manière n'annoncent l'avenir. Epaves du grand naufrage de la "révolution trahie", ils se présentent comme les fidèles tenants de l'orthodoxie bolchevique : la défense de l'U.R.S.S. est leur indépassable fidélité et leur scandaleuse démission.

Ils ne peuvent plus entretenir d'illusions que dans les fameux pays sous-développés où ils entérinenet eux-mêmes le sous-développement théorique. De Partisans (organe des stalino-trotskismes réconciliés) à toutes les tendances et demi-tendances qui se disputent "Trotsky" à l'intérieur et à l'extérieur de la IVº Internationale, règne une même idéologie révolutionnaire, et une même incapacité pratique et théorique de comprendre les problèmes du monde moderne. Quarante années d'histoire contre-révolutionnaire les séparent de la Révolution. Ils ont tort parce qu'ils ne sont plus en 1920 et, en 1920, ils avaient déjà tort. La dissolution du groupe "ultra-gauchiste" Socialisme ou Barbarie après sa division en deux fractions, "moderniste cardaniste" et "vieux marxiste" (de Pouvoir Ouvrier ), prouve, s'il en était besoin, qu'il ne peut y avoir de révolution hors du moderne, ni de pensée moderne hors de la critique révolutionnaire à réinventer. Elle est significative en ce sens que toute séparation entre ces deux aspects retombe inévitablement soit dans le musée de la Préhistoire révolutionnaire achevée, soit dans la modernité du pouvoir, c'est à dire dans la contre-révolution dominante : Voix ouvrière ou Arguments.

Quant aux divers groupuscules "anarchistes", ensemble prisonniers de cette appellation, ils ne possèdent rien d'autre que cette idéologie réduite à une simple étiquette. L'incroyable "Monde Libertaire", évidemment rédigé par des étudiants, atteint le degré le plus fantastique de la confusion et de la bêtise. Ces gens-là tolèrent effectivement tout , puisqu'ils se tolèrent les uns les autres.

 

La société dominante, qui se flatte de sa modernisation permanente, doit maintenant trouver à qui parler, c'est à dire à la négation modernisée qu'elle produit elle-même : "Laissons maintenant aux morts le soin d'enterrer leurs morts et de les pleurer." Les démystifications pratiques du mouvement historique débarassent la conscience révolutionnaire des fantômes qui la hantaient ; la révolution de la vie quotidienne se trouve face à face avec les tâches immenses qu'elle doit accomplir. La révolution, comme la vie qu'elle annonce, est à réinventer. Si le projet révolutionnaire reste fondamentalement le même : l'abolition de la société de classes, c'est que, nulle part, les conditions dans lesquelles il se forme n'ont été radicalement transformées. Il s'agit de le reprendre avec un radicalisme et une cohérence accrus par l'expérience de la faillite de ses anciens porteurs, afin d'éviter que sa réalisation fragmentaire n'entraîne une nouvelle division de la société.

La lutte entre le pouvoir et le nouveau prolétariat ne pouvant se faire que sur la totalité , le futur mouvement révolutionnaire doit abolir, en son sein, tout ce qui tend à reproduire les produits aliénés du système marchand : il doit en être, en même temps, la critique vivante et la négation qui porte en elle tous les éléments du dépassement possible. Comme l'a bien vu Lukács (mais pour l'appliquer à un objet qui n'en était pas digne : le parti bolchevik), l'organisation révolutionnaire est cette médiation nécessaire entre la théorie et la pratique, entre l'homme et l'histoire, entre la masse des travailleurs et le prolétariat constitué en classe . Les tendances et divergences "théoriques" doivent immédiatement se transformer en question d'organisation si elles veulent montrer la voie de leur réalisation. La question de l'organisation sera le jugement dernier du nouveau mouvement révolutionnaire, le tribunal devant lequel sera jugée la cohérence de son projet essentiel : la réalisation internationale du pouvoir absolu des Conseils Ouvriers , tel qu'il a été esquissé par l'expérience des révolutions prolétariennes de ce siècle. Une telle organisation doit mettre en avant la critique radicale de tout ce qui fonde la société qu'elle combat, à savoir : la production marchande, l'idéologie sous tous ses déguisements, l'Etat et les scissions qu'il impose.

La scission entre théorie et pratique a été le roc contre lequel a buté le vieux mouvement révolutionnaire. Seuls, les plus hauts moments des luttes prolétariennes ont dépassé cette scission pour retrouver leur vérité. Aucune organisation n'a encore sauté ce Rhodus. L'idéologie, si "révolutionnaire" qu'elle puisse être, est toujours au service des maîtres, le signal d'alarme qui désigne l'ennemi déguisé. C'est pourquoi la critique de l'idéologie doit être, en dernière analyse, le problème central de l'organisation révolutionnaire. Seul, le monde aliéné produit le mensonge, et celui-ci ne saurait réapparaître à l'intérieur de ce qui prétend porter la vérité sociale, sans que cette organisation ne se transforme elle-même en un mensonge de plus dans un monde fondamentalement mensonger.

L'organisation révolutionnaire qui projette de réaliser le pouvoir absolu des Conseils Ouvriers doit être le milieu où s'esquissent tous les aspects positifs de ce pouvoir. Aussi doit-elle mener une lutte à mort contre la théorie léniniste de l'organisation. La révolution de 1905 et l'organisation spontanée des travailleurs russes en Soviets était déjà une critique en actes de cette théorie néfaste. Mais le mouvement bolchevik persistait à croire que la spontanéité ouvrière ne pouvait dépasser la conscience "trade-unioniste". Ce qui revenait à décapiter le prolétariat pour permettre au parti de prendre la "tête" de la Révolution. On ne peut contester, aussi impitoyablement que l'a fait Lénine, la capacité historique du prolétariat de s'émanciper par lui-même, sans contester sa capacité de gérer totalement la société future. Dans une telle perspective, le slogan "tout le pouvoir aux Soviets" ne signifiait rien d'autre que la conquête des Soviets par le Parti, l'instauration de l'Etat du parti à la place de "l'Etat" dépérissant du prolétariat en armes.

C'est pourtant ce slogan qu'il faut reprendre radicalement et en le débarrassant des arrière-pensées bolcheviques. Le prolétariat ne peut s'adonner au jeu de la révolution que pour gagner tout un monde, autrement il n'est rien. La forme unique de son pouvoir, l'autogestion généralisée, ne peut être partagée avec aucune autre force. Parce qu'il est la dissolution effective de tous les pouvoirs, il ne saurait tolérer aucune limitation (géographique ou autre) ; les compromis qu'il accepte se transforment immédiatement en compromissions, en démission. "L'autogestion doit être à la fois le moyen et la fin de la lutte actuelle. Elle est non seulement l'enjeu de la lutte, mais sa forme adéquate. Elle est pour elle-même la matière qu'elle travaille et sa propre présupposition".

La critique unitaire du monde est la garantie de la cohérence et de la vérité de l'organisation révolutionnaire. Tolérer l'existence des systèmes d'oppression (parce qu'ils portent la défroque "révolutionnaire", par exemple), dans un point du monde, c'est reconnaître la légitimité de l'oppression. De même, si elle tolèrev l'aliénation dans un domaine de la vie sociale, elle reconnaît la fatalité de toutes les réifications. Il ne suffit pas d'être pour le pouvoir abstrait des Conseils Ouvriers, mais il faut en montrer la signification concrète : la suppression de la production marchande et donc du prolétariat. La logique de la marchandise est la rationalité première et ultime des sociétés actuelles, elle est la base de l'autorégulation totalitaire de ces sociétés comparables à des puzzles dont les pièces, si dissemblables en apparence, sont en fait équivalentes. La réification marchande est l'obstacle essentiel à une émancipation totale, à la construction libre de la vie. Dans le monde de la production marchande, la praxis ne se poursuit pas en fonction d'une fin déterminée de façon autonome, mais sous les directives de puissances extérieures. Et si les lois économiques semblent devenir des lois naturelles d'une espèce particulière, c'est que leur puissance repose uniquement sur "l'absence de conscience de ceux qui y ont part".

Le principe de la production marchande, c'est la perte de soi dans la création chaotique et inconsciente d'un monde qui échappe totalement à ses créateurs. Le noyau radicalement révolutionnaire de l'autogestion généralisée, c'est, au contraire, la direction consciente par tous de l'ensemble de la vie. L'autogestion de l'aliénation marchande ne ferait de tous les hommes que les programmateurs de leur propre survie : c'est la quadrature du cercle. La tâche des Conseils Ouvriers ne sera donc pas l'autogestion du monde existant, mais sa transformation qualitative ininterrompue : le dépassement concret de la marchandise (en tant que gigantesque détour de la production de l'homme par lui-même).

Ce dépassement implique naturellement la suppression du travail et son remplacement par un nouveau type d'activité libre, donc l'abolition d'une des scissions fondamentales de la société moderne, entre un travail de plus en plus réifié et des loisirs consommés passivement. Des groupuscules aujourd'hui en liquéfaction comme S. ou B. ou P.O., pourtant ralliés sur le mot d'ordre moderne du Pouvoir Ouvrier, continuent à suivre, sur ce point central, le vieux mouvement ouvrier sur la voie du réformisme du travail et de son "humanisation". C'est au travail lui-même qu'il faut s'en prendre. Loin d 'être une "utopie", sa suppression est la condition première du dépassement effectif de la société marchande, de l'abolition -dans la vie quotidienne de chacun- de la séparation entre le "temps libre" et le "temps de travail", secteurs complémentaires d'une vie aliénée, où se projette indéfiniment la contradiction interne de la marchandise entre valeur d'usage et valeur d'échange. Et c'est seulement au-delà de cette opposition que les hommes pourront faire de leur activité vitale un objet de leur volonté et de leur conscience, et se contempler eux-mêmes dans un monde qu'ils ont eux-mêmes créé. La démocratie des Conseils Ouvriers est l'énigme résolue de toutes les scissions actuelles. Elle rend "impossible tout ce qui existe en dehors des individus".

La domination consciente de l'histoire par les hommes qui la font, voilà tout le projet révolutionnaire. L'histoire moderne, comme toute l'histoire passée, est le produit de la praxis sociale, le résultat -inconscient- de toutes les activités humaines. A l'époque de sa domination totalitaire, le capitalisme a produit sa nouvelle religion : le spectacle. Le spectacle est la réalisation terrestre de l'idéologie. Jamais le monde n'a si bien marché sur la tête. "Et comme la critique de la religion, la critique du spectacle est aujourd'hui la condition première de toute critique".

C'est que le problème de la révolution est historiquement posé à l'humanité. L'accumulation de plus en plus grandiose des moyens matériels et techniques n'a d'égale que l'insatisfaction de plus en plus profonde de tous. La bourgeoisie et son héritière à l'Est, la bureaucratie, ne peuvent avoir le mode d'emploi de ce surdéveloppement qui sera la base de la poésie de l'avenir, justement parce qu'elles travaillent, toutes les deux, au maintien d'un ordre ancien. Elles ont tout au plus le secret de son usage policier. Elles ne font qu'accumuler le Capital et donc le prolétariat ; est prolétaire celui qui n'a aucun pouvoir sur l'emploi de sa vie, et qui le sait. La chance historique du nouveau prolétariat est d'être le seul héritier conséquent de la richesse sans valeur du monde bourgeois, à transformer et à dépasser dans le sens de l'homme total poursuivant l'appropriation totale de la nature et de sa propre nature. Cette réalisation de la nature de l'homme ne peut avoir de sens que par la satisfaction sans bornes et la multiplication infinie des désirs réels que le spectacle refoule dans les zones lointaines de l'inconscient révolutionnaire, et qu'il n'est capable de réaliser que fantastiquement dans le délire onirique de sa publicité. C'est que la réalisation effective des désirs réels, c'est-à-dire l'abolition de tous les pseudo-besoins et désirs que le système crée quotidiennement pour perpétuer son pouvoir, ne peut se faire sans la suppression du spectacle marchand et son dépassement positif.

L'histoire moderne ne peut être libérée, et ses acquisitions innombrables librement utilisées, que par les forces qu'elle refoule : les travailleurs sans pouvoir sur les conditions, le sens et le produit de leurs activités. Comme le prolétariat était déjà, au XIXº siècle , l'héritier de la philosophie, il est en plus devenu l'héritier de l'art moderne et de la première critique consciente de la vie quotidienne. Il ne peut se supprimer sans réaliser, en même temps, l'art et la philosophie. Transformer le monde et changer la vie sont pour lui une seule et même chose, les mots d'ordre inséparables qui accompagneront sa suppression en tant que classe, la dissolution de la société présente en tant que règne de la nécessité, et l'accession enfin possible au règne de la liberté. La critique radicale et la reconstruction libre de toutes les conduites et valeurs imposées par la réalité aliénée sont son programme maximum, et la créativité libérée dans la construction de tous les moments et événements de la vie est la seule poésie qu'il pourra reconnaître, la poésie faite par tous, le commencement de la fête révolutionnaire. Les révolutions prolétariennes seront des fêtes ou ne seront pas, car la vie qu'elles annoncent sera elle-même créée sous le signe de la fête. Le jeu est la rationalité ultime de cette fête, vivre sans temps mort et jouir sans entraves sont les seules règles qu'il pourra reconnaître.

 

 [1] Kravetz (Marc) connut une certaine notoriété dans les milieux dirigeants de l'UNEF ; élégant parlementaire, il commit l'erreur de se risquer dans la "recherche theorique" : en 1964, publie dans les Temps Modernes une apologie du syndicalisme étudiant qu'il dénonce l'année suivante dans le même periodique.

[2] Il va de soi que nous employons ces concepts de spectacle, rôle, etc., au sens situationniste.

[3] Quand on lui chie pas dans la gueule, on lui pisse au cul.

[4] Mais sans la conscience révolutionnaire; l'ouvrier n'avait pas l'illusion de la promotion.

[5] Nous ne parlons pas de celle de l'Ecole Normale Supèrieure ou des Sorboniqueurs, mais de celle des encyclopédistes ou de Hegel.

[6] N'osant pas se réclamer du libéralisme philistin, ils inventent des références dans les franchises universitaires du moyen-âge, époque de la "démocratie de la non-liberté".

[7] Cf. Internationale situationniste, N? 9 (Rédaction B. P. 307.03, Paris). Correspondance avec un cybernéticien et le tract situationniste La tortue dans la vitrine contre le néo-professeur A. Moles

[8] Voir La lutte sexuelle des jeunes et La fonction de l'orgasme.

[9] Avec le reste de la population, la camisole de force est nécessaire pour l'amener à comparaître devant le psychiatre dans sa torteresse asilaire. Avec l'étudiant, il suffit de faire savoir que des postes de contrôle avancés ont été ouverts dans le ghetto : il s'y précipite, au point qu'il est necéssaire de distribuer des numéros d'ordre.

[10] Sur le gang argumentiste et la disparition de son organe, voir le tract Aux poubelles de l'Histoire

[11] A cet effet on ne saurait trop recommander la solution, déjà pratiquée par les plus intelligents, qui consiste à les voler.

[12] Cf : Les dernières aventures de l'U.E.C. et de leurs homologues chrétiens avec leurs hiérarchies respectives; elles montrent que la seule unité entre tous ces gens réside dans leur soumission inconditionnelle à leurs maîon;tres.

[13] En ce sens que non seulement la jeunesse la ressent, mais veut l'exprimer.

[14] Où les partisans du mouvement anti-atomique ont découvert, rendu public et ensuite envahi les abris anti-atomiques ultra-secrets réservés aux membres du gouvernement.

[15] On pense ici à l'excellente revue Heatwave dont l'évolution semble aller vers un radicalisme de plus en plus rigoureux. Adresse : 13, Redcliffe Rd, London, S W 10 Angleterre

[16] KAIHOSHA c/o Dairyuso, 3 Nakanoekimae, Nakanoku, TOKYO JAPON, ZENGAKUREN Hirota Building 2-10 Kandajimbo cho, Chiyoda-Ku, TOKYO Japon

[17] Internationale Situationiste, nº 8

[18] Internationale Situationiste, nº 7

[19] Leur réalisation effective, c'est tendre à industrialiser le pays par la classique accumulation primitive aux dépens de la paysannerie, accélérée par la terreur bureaucratique.

[20] Depuis 45 ans, en France, le Parti dit Comuniste n'a pas fait un pas vers la prise du pouvoir, il en est de même dans tous les pays avancés où n'est pas venue l'Armée dite rouge.

[21] Internationale Situationiste, nº 10

[22] Sur leur rôle en Algérie, cf. Les luttes de classes en Algérie, Internationale Situationiste, nº 10

[23] Internationale Situationiste, nº 9

[24] Adresse aux révolutionnaires..., Internationale Situationiste, nº 10

[25] Défini par la prédominance du travail-marchandise.

[26] Après la critique théorique menée par Rosa Luxemburg.

[27] Les luttes de classes en Algérie, Internationale Situationiste, nº 10

[28] Socialisme ou Barbarie, Pouvoir Ouvrier, etc. Un groupe comme I.C.O., au contraire, en s'interdisant toute organisation et une théorie cohérente, est condamné à l'inexistence.

[29] Internationale Situationiste, nº 9

[1] Kravetz (Marc) connut une certaine notoriété dans les milieux dirigeants de l'UNEF ; élégant parlementaire, il commit l'erreur de se risquer dans la "recherche theorique" : en 1964, publie dans les Temps Modernes une apologie du syndicalisme étudiant qu'il dénonce l'année suivante dans le même periodique.

[2] Il va de soi que nous employons ces concepts de spectacle, rôle, etc., au sens situationniste.

[3] Quand on lui chie pas dans la gueule, on lui pisse au cul.

[4] Mais sans la conscience révolutionnaire; l'ouvrier n'avait pas l'illusion de la promotion.

[5] Nous ne parlons pas de celle de l'Ecole Normale Supèrieure ou des Sorboniqueurs, mais de celle des encyclopédistes ou de Hegel.

[6] N'osant pas se réclamer du libéralisme philistin, ils inventent des références dans les franchises universitaires du moyen-âge, époque de la "démocratie de la non-liberté".

[7] Cf. Internationale situationniste, N? 9 (Rédaction B. P. 307.03, Paris). Correspondance avec un cybernéticien et le tract situationniste La tortue dans la vitrine contre le néo-professeur A. Moles

[8] Voir La lutte sexuelle des jeunes et La fonction de l'orgasme.

[9] Avec le reste de la population, la camisole de force est nécessaire pour l'amener à comparaître devant le psychiatre dans sa torteresse asilaire. Avec l'étudiant, il suffit de faire savoir que des postes de contrôle avancés ont été ouverts dans le ghetto : il s'y précipite, au point qu'il est necéssaire de distribuer des numéros d'ordre.

[10] Sur le gang argumentiste et la disparition de son organe, voir le tract Aux poubelles de l'Histoire

[11] A cet effet on ne saurait trop recommander la solution, déjà pratiquée par les plus intelligents, qui consiste à les voler.

[12] Cf : Les dernières aventures de l'U.E.C. et de leurs homologues chrétiens avec leurs hiérarchies respectives; elles montrent que la seule unité entre tous ces gens réside dans leur soumission inconditionnelle à leurs maîon;tres.

[13] En ce sens que non seulement la jeunesse la ressent, mais veut l'exprimer.

[14] Où les partisans du mouvement anti-atomique ont découvert, rendu public et ensuite envahi les abris anti-atomiques ultra-secrets réservés aux membres du gouvernement.

[15] On pense ici à l'excellente revue Heatwave dont l'évolution semble aller vers un radicalisme de plus en plus rigoureux. Adresse : 13, Redcliffe Rd, London, S W 10 Angleterre

[16] KAIHOSHA c/o Dairyuso, 3 Nakanoekimae, Nakanoku, TOKYO JAPON, ZENGAKUREN Hirota Building 2-10 Kandajimbo cho, Chiyoda-Ku, TOKYO Japon

[17] Internationale Situationiste, nº 8

[18] Internationale Situationiste, nº 7

[19] Leur réalisation effective, c'est tendre à industrialiser le pays par la classique accumulation primitive aux dépens de la paysannerie, accélérée par la terreur bureaucratique.

[20] Depuis 45 ans, en France, le Parti dit Comuniste n'a pas fait un pas vers la prise du pouvoir, il en est de même dans tous les pays avancés où n'est pas venue l'Armée dite rouge.

[21] Internationale Situationiste, nº 10

[22] Sur leur rôle en Algérie, cf. Les luttes de classes en Algérie, Internationale Situationiste, nº 10

[23] Internationale Situationiste, nº 9

[24] Adresse aux révolutionnaires..., Internationale Situationiste, nº 10

[25] Défini par la prédominance du travail-marchandise.

[26] Après la critique théorique menée par Rosa Luxemburg.

[27] Les luttes de classes en Algérie, Internationale Situationiste, nº 10

[28] Socialisme ou Barbarie, Pouvoir Ouvrier, etc. Un groupe comme I.C.O., au contraire, en s'interdisant toute organisation et une théorie cohérente, est condamné à l'inexistence.

[29] Internationale Situationiste, nº 9

[1] Kravetz (Marc) connut une certaine notoriété dans les milieux dirigeants de l'UNEF ; élégant parlementaire, il commit l'erreur de se risquer dans la "recherche theorique" : en 1964, publie dans les Temps Modernes une apologie du syndicalisme étudiant qu'il dénonce l'année suivante dans le même periodique.

[2] Il va de soi que nous employons ces concepts de spectacle, rôle, etc., au sens situationniste.

[3] Quand on lui chie pas dans la gueule, on lui pisse au cul.

[4] Mais sans la conscience révolutionnaire; l'ouvrier n'avait pas l'illusion de la promotion.

[5] Nous ne parlons pas de celle de l'Ecole Normale Supèrieure ou des Sorboniqueurs, mais de celle des encyclopédistes ou de Hegel.

[6] N'osant pas se réclamer du libéralisme philistin, ils inventent des références dans les franchises universitaires du moyen-âge, époque de la "démocratie de la non-liberté".

[7] Cf. Internationale situationniste, N? 9 (Rédaction B. P. 307.03, Paris). Correspondance avec un cybernéticien et le tract situationniste La tortue dans la vitrine contre le néo-professeur A. Moles

[8] Voir La lutte sexuelle des jeunes et La fonction de l'orgasme.

[9] Avec le reste de la population, la camisole de force est nécessaire pour l'amener à comparaître devant le psychiatre dans sa torteresse asilaire. Avec l'étudiant, il suffit de faire savoir que des postes de contrôle avancés ont été ouverts dans le ghetto : il s'y précipite, au point qu'il est necéssaire de distribuer des numéros d'ordre.

[10] Sur le gang argumentiste et la disparition de son organe, voir le tract Aux poubelles de l'Histoire

[11] A cet effet on ne saurait trop recommander la solution, déjà pratiquée par les plus intelligents, qui consiste à les voler.

[12] Cf : Les dernières aventures de l'U.E.C. et de leurs homologues chrétiens avec leurs hiérarchies respectives; elles montrent que la seule unité entre tous ces gens réside dans leur soumission inconditionnelle à leurs maîon;tres.

[13] En ce sens que non seulement la jeunesse la ressent, mais veut l'exprimer.

[14] Où les partisans du mouvement anti-atomique ont découvert, rendu public et ensuite envahi les abris anti-atomiques ultra-secrets réservés aux membres du gouvernement.

[15] On pense ici à l'excellente revue Heatwave dont l'évolution semble aller vers un radicalisme de plus en plus rigoureux. Adresse : 13, Redcliffe Rd, London, S W 10 Angleterre

[16] KAIHOSHA c/o Dairyuso, 3 Nakanoekimae, Nakanoku, TOKYO JAPON, ZENGAKUREN Hirota Building 2-10 Kandajimbo cho, Chiyoda-Ku, TOKYO Japon

[17] Internationale Situationiste, nº 8

[18] Internationale Situationiste, nº 7

[19] Leur réalisation effective, c'est tendre à industrialiser le pays par la classique accumulation primitive aux dépens de la paysannerie, accélérée par la terreur bureaucratique.

[20] Depuis 45 ans, en France, le Parti dit Comuniste n'a pas fait un pas vers la prise du pouvoir, il en est de même dans tous les pays avancés où n'est pas venue l'Armée dite rouge.

[21] Internationale Situationiste, nº 10

[22] Sur leur rôle en Algérie, cf. Les luttes de classes en Algérie, Internationale Situationiste, nº 10

[23] Internationale Situationiste, nº 9

[24] Adresse aux révolutionnaires..., Internationale Situationiste, nº 10

[25] Défini par la prédominance du travail-marchandise.

[26] Après la critique théorique menée par Rosa Luxemburg.

[27] Les luttes de classes en Algérie, Internationale Situationiste, nº 10

[28] Socialisme ou Barbarie, Pouvoir Ouvrier, etc. Un groupe comme I.C.O., au contraire, en s'interdisant toute organisation et une théorie cohérente, est condamné à l'inexistence.

[29] Internationale Situationiste, nº 9

 

 

 

4) Nouvelles attaques contre «AUSCHWITZ OU LE GRAND ALIBI»

 

Télécharger «AUSCHWITZ OU LE GRAND ALIBI» en PDF : ICI

 

 

Voici une défense de ce grand texte, fait dans la revue : Le Prolétaire, numéro 454, juillet-août 2000 :

http://www.sinistra.net/lib/upt/prolac/muua/muuainucaf.html#u5

 

Nouvelles attaques contre «Auschwitz ou le grand alibi»
Ras l'front falsificateur
Ras l'front négationniste
Ras l'front dans l'embarras
Ras l'front défenseur du capitalisme
Antifascisme et lutte anticapitaliste
Défense d'Israël
Anti-matérialisme et démocratie
Perversité du «bordiguisme»
Les négationnistes, alibi des démocrates
Shoah business
Annexe: et les chambres à gaz?
Notes
Source


Nouvelles attaques contre «Auschwitz ou le grand alibi»
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Notre brochure «Auschwitz ou le grand alibi» est de nouveau la cible de diverses attaques. Dans ce premier article, nous nous occuperons de l'organisation antifasciste «Ras l'Front». Nous traiterons dans un second article d'un livre récent qui prétend faire l'«Histoire du négationnisme».

Lors de la dernière fête de Lutte Ouvrière, «Ras l'Front» s'est en effet encore une fois livrée à des attaques contre notre brochure et sa diffusion. Déjà en 1998 la même organisation, lors de la fête de L.O., s'était employée à dresser contre nous les trotskystes de «Jeunes contre le Racisme en Europe» (scission de l'organisation de jeunesse de la LCR): voir notre article à ce sujet sur le n° 446 de ce journal. L'année suivante, «Ras l'front» avait demandé aux organisateurs d'interdire la diffusion de notre brochure. L.O., ne voulant pas prendre position sur une question bien épineuse, s'était défilée avec l'argument qu'elle ne se livrait pas à un contrôle politique des textes et des positions défendues sous leur seule responsabilité, par les organisations présentes. A la suite de ce refus, «Ras l'Front» s'était répandu en fanfaronnades selon lesquelles il interdirait lui-même la présence de l'horrible brochure.

C'est ainsi que dès le début de l'édition 1999 de la fête ces valeureux anti-fascistes avaient envoyé des jeunes faire du chahut à notre stand. Puis, après la fuite précipitée de ceux-ci, qui, ignorant tout de nos positions, étaient bien incapables de tenir pied dans la discussion, ce fut au tour de deux gros bras de venir faire de l'intimidation. Hélas, c'est le propre des gros bras d'avoir une cervelle d'oisillon! Ne pouvant laisser parler leurs muscles à cause du petit attroupement causé par la première intervention de leurs jeunes amis, ils furent contraints d'essayer d'argumenter leurs critiques et de justifier leur attitude. Face à une épreuve aussi redoutable, il ne leur restait plus qu'à battre piteusement en retraite.

Peut-être échaudés par leur déconvenue de l'année précédente, Ras l'Front n'a pas essayé cette année de s'en prendre directement à nous, mais il choisit d'accentuer la pression pour interdire la diffusion de notre brochure, en diffusant un tract appelant
«
l'ensemble des organisations et des militants à demander à L.O. que cette brochure ne soit plus vendue à la fête».

Dans ce tract, intitulé «Des révisionnistes à la fête de LO... Karl Marx, le grand alibi?», on peut lire:
«
Depuis des années, le Parti Communiste International tient un stand à la fête de Lutte Ouvrière. Ce groupuscule est issu du courant fondé par Amadeo Bordiga. Peu actif il semble se consacrer surtout à l'édition de textes [Chef, c'est louche! Que font-ils vraiment?]. En 1960, ce courant a publié un article anonyme [Anonyme? De plus en plus louche!] dans son journal Programme Communiste: «Auschwitz ou le grand alibi». Réédité sous forme de brochure, il est en vente depuis des années à la fête de LO. Or ce texte est l'un des textes fondateurs des thèses révisionnistes. Il a notamment été diffusé dans les années 70 par La Vieille Taupe, librairie devenue Maison d'édition et quartier général des négateurs de l'extermination des Juifs pendant la guerre [Chef, ce coup-ci on les tient! La Vieille Taupe, après avoir été l'une des librairies gauchistes les plus courues du Quartier Latin, étant devenue 15 ans plus tard un centre négationniste, tous ceux qui ont été diffusés par elle dans sa première période sont donc des négationnistes, ou je mange mon képi! D'ailleurs, chef, ce Karl Marx, il devait bien y avoir ses brochures dans cette librairie?]. Malgré les demandes répétées et les protestations de Ras l'front, Lutte Ouvrière s'est toujours refusée à intervenir pour en empêcher la vente [Serait-elle complice?], au motif qu'elle ne veut pas contrôler ce que vendent les groupes présents à la fête.
Pourtant nous estimons que les mensonges révisionnistes ne relèvent pas des débats internes de l'extrême gauche, mais d'une autre logique (...)
»
(1).

Et après avoir précisé que: «si nous discutons sur les révisionnistes, en analysant leurs mensonges, en démontant leurs raisonnements, nous refusons de discuter avec eux, qu 'ils soient d 'extrême-droite ou, comme ici, ultra-gauches. Nous n'avons rien à leur répondre et nous ne répondrons pas à leurs délires» (2),
le tract de Ras l'front, tente cependant de répondre à ce qu'il affirme péremptoirement être nos «mensonges révisionnistes».

Ras l'front falsificateur
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Notre premier mensonge serait de nier la «singularité» du massacre des Juifs, et même de se moquer de ce massacre, à en croire des citations produites par le tract pour susciter l'indignation à notre égard:
«
Selon les auteurs de la brochure, «si on fait un tel plat» (sic) du génocide, (...). Le massacre des Juifs serait donc «un rideau de fumée» (..)».

Ras l'front utilise la pratique de faussaire (que les staliniens avaient développé jusqu'à la dernière extrémité) qui consiste à citer des bouts de phrase hors de leur contexte. En effet l'introduction à la brochure explique clairement pourquoi «on fait un tel plat», non du massacre des Juifs comme nous le font dire les falsificateurs de Ras l'front, mais de l'interview dans «l'Express» en 1978 de Darquier de Pellepoix, ancien Commissaire aux questions juives: cette interview avait été le prétexte au déclenchement d'une énorme campagne de propagande en faveur de la démocratie bourgeoise, qui aurait été menacée par une prétendue résurgence du fascisme et de l'antisémitisme. Le «rideau de fumée» dont nous parlions, n'était pas le massacre des Juifs comme l'affirment les menteurs de Ras l'front, mais «Le rideau de fumée de la campagne actuelle» (titre d'un paragraphe tronqué par nos faussaires), grotesque et hypocrite campagne qui servait à masquer la recrudescence du racisme, des discriminations, des agressions et des intimidations policières à l'encontre de millions de travailleurs immigrés et leurs familles. C'était écrit en toutes lettres et expliqué à longueur de pages: impossible de se tromper pour tout lecteur honnête, même bas du front...

Ras l'front négationniste
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Mais pour nos accusateurs il fallait charger la barque afin que notre péché capital apparaisse dans toute son horreur:
«
Or, si les auteurs de la brochure ne nient pas le génocide, ils prétendent que sa singularité serait fictive
».
Car, c'est vrai, nous nions que «
les crimes du nazisme restent uniques dans l'histoire
» - honteuse affirmation de «Ras l'front» à qui la réalité de ce monde capitaliste dans les dernières décennies a malheureusement apporté de nouveaux et sanglants démentis en plus de ceux rappelés il y a plus de vingt ans dans l'introduction à la brochure: il suffit de songer aux massacres des Tutsis au Rwanda, en se souvenant de la complicité criminelle de l'impérialisme français dans la préparation des tueries. Mais il est vrai que l'impérialisme français est une démocratie tout ce qu'il y a de démocratique. Or, affirme le maître à penser Vidal-Naquet dans un ouvrage dont le tract recopie des passages entiers:
«
A lui seul ce crime [l'extermination des Juifs - NdlR] creuse la distance qui sépare le démocrate du fasciste. Mais, pensent les bordiguistes, il n 'en est rien. Il faut donner de I'antisémitisme de l'époque impérialiste, l'explication économico-sociale qui s'impose» (3).

En quelques mots, l'intellectuel de gauche démocrate a défini l'enjeu: le crime commis contre les Juifs suffit à distinguer radicalement le fascisme de la démocratie (nous disons: c'est l'alibi de celle-ci) qui ne sont donc pas deux formes différentes d'une même réalité (deux formes de la domination politique de la classe bourgeoise et du capitalisme), mais deux systèmes antagoniques entre lesquels il faut choisir; toute tentative d'explication matérialiste des crimes nazis doit donc être repoussée avec la dernière énergie car elle conduit précisément à faire disparaître cette différence qualitative de la démocratie et donc la justification du soutien à la démocratie, en démontrant que la racine de ces crimes se trouve dans le système capitaliste lui-même. Mais cela ne suffit pas encore; pour que le raisonnement des démocrates tienne debout, il faut que le caractère unique des crimes nazis ne soit pas remis en question: il est donc obligatoire de faire oublier que les démocraties bourgeoises ont aidé ou au moins vu sans déplaisir la montée de Hitler au pouvoir, que pendant la guerre les démocraties alliées ont refusé obstinément de venir en aide aux Juifs (4), qu'elles sont donc au moins en partie coresponsables des massacres; il est indispensable de disculper les États démocratiques de tous leurs crimes, leurs massacres, leurs génocides, de les nier ou au moins de les banaliser, de les relativiser: Que dire donc de ces démocrates sinon qu'ils sont, eux aussi, comme tous les idéologues de la bourgeoisie, d'authentiques négationnistes?

Ras l'front dans l'embarras
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Le deuxième «mensonge» dont nous accuse Ras l'front est d'affirmer qu' «il n'y a pas eu préméditation de l'extermination».

Le lecteur doit savoir que cette question a longtemps divisé les historiens bourgeois; certains, appelés «intentionnalistes», soutenaient que Hitler et les nazis avaient dès le début l'intention de massacrer les Juifs et qu'ils n'ont fait que suivre un plan prémédité dès l'époque de «Mein Kampf». Pratiquement plus personne parmi les historiens sérieux n'adhère aujourd'hui à cette conception. Nous avons déjà eu l'occasion à cet égard de citer l'ouvrage récent d'un professeur israélien - pas le moins du monde bordiguiste ni marxiste - qui affirme que l'émigration des Juifs était l'objectif premier du régime nazi jusqu'à l'automne 41, et que ce n'est que lorsque cette émigration se révéla impossible que le régime se tourna vers leur massacre (5). Encore un menteur?

En fait Ras l'front lui-même se trouve bien embarrassé pour étayer ce qu'il affirme être un «fait têtu et gênant»; les rares éléments qu'il fournit se retournent en effet contre lui:
«
Le souci productif fera peu à peu son apparition (1941: premier accord entre les SS et les industries allemandes comme IG Farben pour disposer des déportés comme main d'œuvre)»; «Mais Maïdanek et surtout Auschwitz, énormes centres industriels, furent la preuve que I 'extermination pouvait côtoyer l'exploitation du travail forcé: l'élimination des faibles, vieillards, femmes, enfants ne laissait subsister que la force de travail
».
Le moins qu'on puisse dire est que cette fameuse préméditation de l'extermination, réalisée «selon un plan scientifiquement établi et suivant une procédure industrielle», est bien longue à se mettre en œuvre et sa réalisation est bien chaotique (les premiéres déportations de Juifs datent de 1938, tandis que, selon le tract les premiers massacres ne commencent que 3 ans plus tard dans un premier camp, leur début dans les autres camps s'échelonnant jusqu'en juin 44).

Ne sachant comment se dépêtrer de ces contradictions, «Ras l'front» recopie - mal - à tout hasard un passage où Vidal Naquet, répondant à une autre polémique, explique qu'
«
un système totalitaire (...) n 'est pas un organisme fonctionnant tout uniquement (sic!) sous la conduite d'un chef Dans l'Allemagne nazie, la Gestapo, le Ministère des Affaires étrangères, le Ministère des territoires occupés formaient autant de clans qui n avaient ni les mêmes intérêts, ni la même politique (...)
».
La remarque de Vidal Naquet n'est pas fausse, à ceci près qu'il ne cite que quelques «clans» de l'appareil d'État, sans identifier les intérêts économiques déterminants qui, dans un système démocratique tout autant que dans un système totalitaire, sont à l'origine de ces divers clans et qui sont, en dernière analyse, les véritables décideurs des actions de I'État. En tout cas bien malin qui pourrait dire en quoi ce passage peut étayer la thèse de la préméditation du massacre des Juifs par les nazis...

Ras l'front défenseur du capitalisme
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Venons-en donc à notre troisième «mensonge», qui est de fournir «une explication prétendument «matérialiste» et économiste du génocide». Nous mettons en gras la phrase qui suit, à défaut de pouvoir l'encadrer, car en quelques mots elle définit parfaitement ce qui distingue radicalement le marxisme de toutes les idéologies, quelles qu'elles soient:
«
Autrement dit, selon la brochure, il ne faudrait pas rechercher les racines du génocide dans le domaine des idées, mais dans le fonctionnement de l'économie capitaliste et dans les maux qu'il engendre».

Pour une fois, «Ras l'front» a parfaitement saisi ce que nous disons! Et il s'en indigne aussitôt:
«
On comprend bien le danger de cette théorie. Il (?) équivaut à nier le caractère raciste et antisémite du génocide et donc son caractère exceptionnel de crime contre l'humanité. Expédiés le racisme, les idées d'extrême-droite et la haine des Juif. Le génocide n'est aucune manière l'expression d'une idéologie.
L'argument est pernicieux. Il ne s'agit pas en soi de la négation des faits, c'est-à-dire de l'extermination, mais de l'explication raciste et antisémite du génocide. Il ne serait qu'une conséquence du fonctionnement capitaliste, un moyen de régulation du capitalisme.
Aucun de ces arguments ne tient pourtant la route
»
(6).

Nous ne doutons pas que les petits-bourgeois démocrates de «Ras l'front» ont bien compris, comme ils l'assurent, le danger d'une position pernicieuse au point de désigner comme coupable des crimes commis par les nazis, non des idées, une idéologie, mais le capitalisme lui-même: car le capitalisme, c'est le système économique qui assure leur existence et leur statut social. C'est pourquoi ils déclarent celui-ci non coupable; c'est bien parce qu'ils craignent avant tout une lutte véritable contre le capitalisme, contre son fonctionnement et contre les maux qu'il engendre, qu'ils en appellent à une simple lutte contre des idées, contre des idéologies: ces antifascistes idéalistes, comme tous les idéologues, ne sont rien d'autre que des défenseurs du capitalisme!

Antifascisme et lutte anticapitaliste
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Pour terminer, «Ras l'front» revendique la lutte contre le fascisme,
«
danger majeur pour les salariés, les femmes, comme pour les exclus, les minorités (les immigrés..) et le mouvement ouvrier Ils sont les premiers à en souffrir
»
alors que nous dénoncerions mensongèrement, dans l'antifascisme
«
un piège pour tous ceux qui luttent
»:
«
Les conséquences plus lointaines de cette théorie étant bien évidemment qu'il ne sert à rien de lutter contre le fascisme, contre les idées d'extrême-droite. Le fascisme en tant que programme (?) n'existerait pas, ne correspondrait à aucune forme politique déterminée (?). Les nazis ne seraient donc qu 'un «détail» de l'histoire du capitalisme et de l'impérialisme... Autant d'arguments qui impliquent, de fait, une banalisation de cette période de l'histoire et des catégories politiques (sic) que constituent ces régimes».

Autant d'arguments qui sont des inventions de «Ras l'front». Expliquer que le fascisme est l'une des formes de la domination du capital - la forme de la dictature ouverte, de la lutte sans quartiers de la bourgeoisie contre le prolétariat - n'implique évidemment pas qu'il ne servirait à rien de lutter contre le fascisme, surtout si par fascisme on n'entend pas seulement «des idées d'extrême-droite» mais des forces politiques organisées par la bourgeoisie pour s'attaquer aux organisations prolétariennes, briser les grèves, terroriser les travailleurs, en collaboration avec les forces de répression légales. Mais cela implique que la lutte contre le fascisme ne peut se mener avec l'objectif de maintenir et de consolider une autre forme de la domination du capital - la démocratie - et en alliance avec les partisans de celle-ci. Si elle ne veut pas être illusoire, la lutte contre le fascisme doit être une lutte contre le capitalisme et doit se mener sur une base de classe.

L'antifascisme démocratique, qui se présente comme une lutte commune à tous, c'est-à-dire une lutte inter-classiste, autour de la défense de la forme démocratique de l'État et du régime bourgeois, est, lui, bel et bien un piège mortel pour les prolétaires en lutte. C'est justement parce que, au contraire de «Ras l'front» et cie, nous ne banalisons pas ce qu'a représenté le fascisme (qui n'était pas un programme, mais un mouvement politique au service de la conservation sociale), parce que nous nous efforçons de ne pas oublier les terribles leçons du fascisme et de la lutte contre lui, que nous ne crions pas tous les matins depuis 50 ans au danger fasciste et que nous dénonçons ceux qui depuis 15 ans s'emploient à engluer encore davantage les prolétaires dans le démocratisme au nom d'une lutte - essentiellement électorale et «d'idées» - contre le Front National.

Non, aujourd'hui, le danger majeur pour les salariés, les femmes, les exclus, les minorités, etc. - disons: les prolétaires, ce n'est pas le fascisme! Ce n'est pas le Front National qui expulse les prolétaires immigrés, qui licencie, qui s'attaque aux retraites, qui fait baisser les salaires réels, qui renforce la police et couvre ses crimes, mais bien les amis démocrates de «Ras l'front»!

Le danger majeur, c'est le capitalisme, son État démocratique et les forces politiques, grandes ou petites, au gouvernement ou non, parlementaires ou extra-parlementaires, qui se donnent la tâche de le servir et de duper les travailleurs! Le danger majeur, c'est la persistance de la collaboration des classes, alimentée par l'action conjointe de l'opportunisme politique et syndical et du réseau capillaire des institutions démocratiques, qui paralyse le prolétariat et l'empêche de réagir efficacement à l'aggravation continue de son exploitation et à la détérioration croissante de sa situation.

«Ras l'front» et cie fournissent leur contribution au maintien de cette asphyxiante collaboration des classes, en s'efforçant de maintenir en fonction le vieux piège de l'anti-fascisme démocratique. C'est la raison pour laquelle ils combattent ceux qui dénoncent cette escroquerie et qu'ils essayent d'empêcher la diffusion de leurs positions. Derrière ce qui peut apparaître encore pour une simple et obscure lutte d'«idées», ce sont en réalité des positions de classe irréconciliables qui sont enjeu et qui sont destinées à se résoudre demain dans l'affrontement social ouvert.

Alors tous les prolétaires verront Ras l'front de l'antre côté de la barricade, du côté des bourgeois, «fascistes» et «démocrates» enfin réunis...

• • •

[La suite a été publiée dans «le prolétaire» numéro 456, janvier 2001]

Sur le no. 454 (juillet-août-septembre 2000) de ce journal nous avons répondu aux attaques de Ras l'Front contre notre brochure. A peu près au même moment où cette organisation pondait son tract, paraissait en librairie un ouvrage de Valérie Igounet: «Histoire du négationnisme en France» (7). Il s'agit de la version commerciale d'une thèse de doctorat, donc d'un travail universitaire censé présenter toutes les garanties de sérieux, d'objectivité et de rigueur scientifique qui caractériseraient la noble institution universitaire. Et d'ailleurs notre savant professeur se vante dans son introduction de l'intérêt de son étude, qui
«
réside dans la mise au jour de l'histoire et de l'évolution du négationnisme. Elle permet de comprendre comment des anciens militants de l'ultra-gauche, où l'on compte les plus ardents défenseurs de la lutte anticolonialiste, se sont laissé séduire par un discours antisémite et ont pu se joindre à une extrême droite néonazie. Elle rend compte de l'exception française de l'affaire Faurisson (...). Elle montre les véritables enjeux idéologiques du négationnisme [et son utilisation par le Front National]. Enfin, elle met à mal une méthode de négation attachée à rendre perplexes des personnes de bonne foi
»,
etc. Valérie Igounet prétend donc non seulement écrire l'histoire d'une conception particulière, qu'elle préfère appeler «négationnisme» plutôt que «révisionnisme» car elle relève
«
d'une idéologie et non d'une démarche scientifique ou même critique»: «la négation de la politique d'extermination nazie à l'encontre des juifs d'Europe» (qui signifie la double «négation de la volonté d'extermination du IIIe Reich» et la «négation de l'anéantissement systématique, massif et industriel de la communauté juive
»),
mais aussi expliquer le retentissement de cette conception en France et en dévoiler l'enjeu réel, en accordant une place particulière au rôle de l'«ultra-gauche».

Nous n'avons aucunement l'intention de faire ici une critique détaillée de cet ouvrage qui n'a pas la valeur que lui donne son auteur. Pour l'essentiel en effet, il s'agit, conformément à l'historiographie bourgeoise vulgaire, d'une histoire inévitablement superficielle et donc fastidieuse, de quelques individus (8), qui ne permet pas de comprendre les raisons et les enjeux véritables des idées et des positions prises par les uns et les autres. Non qu'Igounet ne donne pas une explication du négationnisme, et n'indique pas les orientations politiques qui ont présidé à son travail; mais, et c'est ce qui nous intéresse de mettre en lumière, cette explication et ces orientations qui ne sont bien évidemment pas propres à cette seule historienne, ont pour fonction de contribuer à alimenter le rideau de fumée de l'idéologie dominante, sous la forme de la fausse alternative: fascisme contre démocratie. Plus précisément, cet ouvrage, qui se veut de référence, a pour but implicite de démontrer l'existence d'un adversaire de la démocratie, à l'œuvre de façon quasi-ininterrompue depuis la fin de la guerre mondiale et la défaite des nazis: le négationnisme, réunissant en France extrême-droite et ultra-gauche. Les attaques contre notre brochure et notre mouvement y tiennent une place de choix.

Défense d'Israël
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Au dos de la couverture du livre on peut lire qu'
«
un des buts politiques [du négationnisme] ne tarde pas à se révéler: il s'agit en France comme dans les autres pays où le négationnisme s'est répandu, de nier les fondements historiques de l'Etat israélien». Dans l'introduction, Igounet explique: «Contemporain de la naissance d'Israël, le négationnisme représente, dès ses origines, de véritables enjeux idéologiques». A savoir: «Le négationnisme veut délivrer un message fondamental: les juifs ont menti afin de culpabiliser l'Occident et permettre la création de leur Etat».

Plus précisément, l'antisémitisme, l'antisionisme et l'anticommunisme, constituent
«
les sens politiques du négationnisme d'extrême-droite
».
Si, de leur côté, les négationnistes d'ultra-gauche affirment lutter contre l'illusion d'une
«
opposition entre les démocraties et les régimes totalitaires», «ils ajoutent un combat, commun à l'extrême droite, à leur lutte contre le mensonge du Capital: la lutte contre l'Etat «impérialiste sioniste». Le contexte international participe à cette dénonciation (...) [charte de l'OLP de 1964 dont l'objectif est la destruction de l'Etat d'Israël, résolution de l'ONU de 1975 qui assimile le sionisme au racisme]. Au nom de l'anti-impérialisme et de l'antiracisme, certains se revendiquent antisionistes et s'insurgent contre le «nationalisme juif» tout en rejetant toute idée d'antisémitisme. Le noyau négationniste d'ultra-gauche va suivre ce cheminement idéologique et va expliquer que de la sacralisation de la Shoah résulte un nouvel Etat souverain, Israël, qui, depuis sa fondation, a utilisé la référence du génocide afin d'excuser ses exactions. (...) A plusieurs reprises le glissement de l'antisionisme vers l'antisémitisme sera réel».

C'est donc l'opposition à l'Etat d'Israël, qui, selon notre historienne, serait la source et la cause principale du négationnisme, ce serait l'antisionisme - l'opposition au colonialisme et à l'expansionnisme israélien dont le sionisme constitue l'idéologie et le programme - qui expliquerait la convergence entre l'extrême droite et cette ultra-gauche.

Qu'est-ce là sinon le vieil argument éculé des partisans de l'Etat hébreu affirmant, pour le discréditer, que l'antisionisme n'est qu'une variété de l'antisémitisme? Igounet n'apporte aucun commencement de preuve à cet argument qu'elle détruit elle-même sans s'en apercevoir en écrivant, dans la phrase qui suit, que
«
La propagande négationniste contemporaine pense légitimer son discours en recourant à l'antisionisme. (...) Cet «antisionisme» spécifique à deux idéologies [extrême droite et ultra-gauche- NdlR] s'arroge une cause, la défense des Palestiniens, qui devient son alibi, son estampille d'antiracisme
»:
autrement dit, l'antisionisme véritable, sans guillemets, est bien un antiracisme, une cause légitime, et c'est pourquoi certains antisémites essayeraient de se camoufler derrière une variété spécifique de celui-ci!
(9)

Pour essayer de faire tenir son affirmation, Igounet est obligée d'«oublier» que l'extrême droite est bien davantage caractérisée par le racisme anti-arabe que par l'antisionisme ou le soutien aux palestiniens; elle est obligée d' «oublier» que c'est ce racisme anti-arabe qui a été le moteur de la progression du Front National, en particulier parmi les Pieds Noirs - y compris parmi les Pieds Noirs juifs; d' «oublier» que Le Pen était fier de se désigner comme un «ami d'Israël» ou que, au milieu des années 80, le vice-président de l'Association parlementaire France-Israël était un élu, juif, du F.N. (10).

La création de l'Etat d'Israël n'est pas dû à un quelconque sentiment de culpabilité de l'Occident (!) ou à une sacralisation de la Shoah, car ce ne sont pas des sentiments ou des idées qui déterminent les agissements des Etats (et a fortiori qui président à leur création et constituent leur fondement historique), mais des intérêts matériels bien précis, qu'ils soient directement économiques ou politiques. La création d'Israël répondait aux besoins de l'impérialisme: d'une part, dans le cadre des gigantesques transferts de population que les impérialismes victorieux ont réalisé en Europe après 1945 (purification ethnique forcée qui a vu la déportation de millions de personnes), en résolvant le «problème juif» par le départ de cette population survivante vers un territoire extra-européen (chose que les impérialismes occidentaux avaient refusé aux nazis avant guerre); d'autre part en constituant au Moyen-Orient un Etat dont les sionistes donnaient l'assurance qu'il serait le défenseur des intérêts impérialistes dans la région (11).

Si les populations juives ont afflué volontairement en Israël, ce n'est pas parce qu'elles étaient convaincues par l'idéologie sioniste, ni même à cause de la terrible épreuve du nazisme, mais tout simplement parce qu'elles n'avaient pas d'autre endroit où aller! On sait d'ailleurs que pour accélérer ce mouvement les terroristes sionistes n'hésitaient pas à faire exploser des bombes dans des synagogues afin de faire immigrer en Israël les Juifs des pays arabes. Il n'empêche que l'idéologie joue un rôle considérable dans la mobilisation des individus et que la bourgeoisie ne peut s'en passer. Chaque classe dominante utilise donc toutes les ressources de ses institutions (Eglise, Ecole, médias, etc.) pour élaborer et diffuser en permanence parmi les exploités et parmi toute la population une propagande destinée à leur faire accepter et défendre «spontanément» l'ordre établi. L'idéologie officielle de l'Etat israélien repose bien évidemment, outre la religion, sur le génocide nazi, sur la «sacralisation de la Shoah», dont il tire non seulement sa légitimité sur la scène internationale, mais surtout qu'il utilise pour cimenter l'union interne entre les classes, pour faire accepter à sa population un état de guerre permanent et un militarisme omniprésent. C'est la raison pour laquelle les défenseurs de l'Etat israélien, qu'ils soient idéologues ou historiens (les historiens bourgeois sont toujours des idéologues), ne veulent et ne peuvent voir, dans les révisions ou négations du massacre des Juifs, rien d'autre qu'une attaque menaçante contre cet Etat.

Anti-matérialisme et démocratie
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Igounet consacre plusieurs chapitres à un groupe de l'ultra-gauche (autour de la librairie parisienne «La vieille Taupe») qui, selon elle, se rallia au négationnisme sous l'influence particulièrement pernicieuse des «thèses d'Amadeo Bordiga» (12), en particulier le rejet de l'antifascisme. Ces éléments poussent en effet le vice jusqu'à reproduire et mettre en vente au début des années 70 notre article de 1960 «Auschwitz ou le grand alibi». Or cet
«
opuscule est à l'origine de l'interprétation hypermatérialiste du génocide juif et, par là même [sic], de l'interprétation relativiste que les militants de la Vieille Taupe font de celui-ci» (13).

Quel est en effet le pêché rédhibitoire de ce texte, d'après notre historienne? - Son matérialisme:
«
Sans remettre en cause la réalité du génocide juif, [les disciples d'Amadeo Bordiga] adoptent envers l'événement une conception purement matérialiste» (horreur!): «Le Capital est la cause de l'élimination des juifs. Il a massacré le peuple juif et a, ensuite, justifié la Seconde Guerre mondiale par l'horreur de ce massacre. Auschwitz n'est donc qu'un alibi, utile au capitalisme, pour justifier son exploitation de la classe prolétarienne
».
«
(...) Le capitalisme est le seul responsable de la mort des juifs. (...) Le génocide ne relève plus de l'antisémitisme mais du calcul du Capital. La volonté d'extermination de Hitler, déterminée par la férocité de sa haine envers le peuple juif est indéniablement occultée, car sa mise en avant participe à la mystification.
L'une des conséquences de cette conception est qu'Auschwitz n'est plus considéré comme un événement inimaginable [?] (...) Le système hitlérien était incomparable [sic] à cause de son massacre raciste, prémédité et industriel. L'analyse bordiguiste occulte délibérément ce triple caractère et accuse les puissances vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale d'exploiter l'interprétation manichéenne du génocide entièrement fictive, née à la suite du procès de Nuremberg. (...)
».

Si la conséquence de notre conception est qu'Auschwitz (c'est-à-dire le massacre en masse des Juifs) n'est pas un événement inimaginable (Igounet veut sans doute dire: exceptionnel, extraordinaire, sans exemple, etc.) comment est-il alors possible de voir dans cette conception un fondement du négationnisme, conception selon laquelle il s'agit justement d'un événement inimaginable, irréel, fictif?

Notons que la dernière accusation qui nous est attribuée, y compris la curieuse notion d'
«
interprétation manichéenne entièrement fictive, née à la suite du procès de Nuremberg
»,
est rajoutée par Igounet pour les besoins de sa cause: contrairement aux nostalgiques du fascisme auxquels l'historienne voudrait bien nous assimiler, notre analyse ne vise pas à disculper un impérialisme (allemand) en rejetant sur un autre («les puissances vainqueurs») l'invention de crimes entièrement fictifs, mais à expliquer que le système capitaliste est responsable de ces crimes malheureusement trop réels; contrairement aux démocrates, notre analyse accuse
tous les impérialismes
, fascistes ou démocratiques. C'est bien là où le bât blesse, comme nous le voyons en continuant la citation:
«
Ciment de l'antifascisme, car incarnation de l'horreur absolue, Auschwitz représente une coupure radicale dans l'histoire du XXe siècle et établit une distinction irréductible entre les démocraties et le régime nazi. En banalisant Auschwitz avec un discours aussi réducteur, certains ultra-gauchistes parviennent à mettre sur le même plan les démocraties bourgeoises et les régimes totalitaires».

Nous y voilà! C'est Auschwitz qui prouve la distinction fondamentale entre démocratie et nazisme, c'est Auschwitz qui constitue bel et bien l'alibi en béton (ou en ciment) de la démocratie!

Notre texte s'emploie à réfuter cet alibi, d'une part sur le plan de l'analyse théorique en montrant qu'Auschwitz est le produit du mode de production capitaliste dont fascisme et démocratie ne sont que deux modes de gouvernement interchangeables par la bourgeoisie selon l'évolution des situations politico-sociales; d'autre part sur le plan des faits, en rappelant, outre les nombreux autres massacres et génocides commis par le capitalisme y compris français encore récemment, que les impérialismes démocratiques occidentaux, en toute connaissance de cause, ont laissé les nazis massacrer les Juifs (et autres), ont refusé d'accueillir ces derniers, ont refusé de bouger le petit doigt pour les sauver! L'historienne a lu notre brochure, elle a lu ces pages, mais comme elle ne peut les contester, elle préfère se taire, elle préfère cacher cette partie de l'histoire qui la gêne: tout bardés qu'ils soient de diplômes universitaires - ou plutôt d'autant plus qu'ils sont bardés de ces diplômes - les démocrates sont obligés de déformer, de nier l'histoire afin de défendre le système bourgeois, et leur place dans ce système.

En outre, le danger est plus profond qu'il n'y parait, s'alarme l'historienne:
«
Cette interprétation n'est pas isolée au sein de l'extrême gauche française. Aux lendemains de la guerre des Six Jours [guerre entre Israël et l'Egypte], on peut lire dans la presse communiste» [sic!: en réalité sur les colonnes de «L'Humanité»] que la «
discrimination raciale, l'antisémitisme sont le fait de la réaction des classes sociales exploiteuses - et non pas le fait de tel ou tel peuple en tant que tel (...). Les massacres d'Auschwitz, de Buchenwald, etc.., furent le fait du fascisme, c'est-à-dire de la forme la plus bestiale du capitalisme.
Pendant une longue période, le marxisme a éludé le problème du racisme en l'analysant sous l'angle économique - la lutte des classes - plutôt que sous l'angle historico-culturel [?]. C'est cette évolution, propre au discours d'une certaine extrême gauche française, que les militants de la Vieille Taupe ont entreprise [?]. En considérant Auschwitz comme un alibi, certains trouvent une garantie pour leur survie idéologique. A leurs yeux, le capitalisme assure l'entière responsabilité de la Seconde Guerre Mondiale. Il a minimisé, maquillé, refoulé ses crimes par l'introduction fictive, dans l'histoire, de la chambre à gaz.
»

Selon Igounet le mal est ainsi le marxisme - du moins tant qu'il n'a pas renoncé à la lutte des classes, c'est-à-dire cessé d'être marxisme - parce qu'il rend le capitalisme entièrement responsable de la guerre, du fascisme, (au lieu d'y voir la responsabilité d'un peuple, d'une culture, de mauvaises idées ou de la méchanceté de dirigeants, bref de tout sauf de ce système), marxisme qui arrive à contaminer, dans les périodes anti-israéliennes, jusqu'au PCF! En rendant (faussement) le capitalisme responsable des massacres et de la guerre, «ce discours hyperrationaliste» [sic] aurait ainsi pour fonction de garantir et de légitimer les positions révolutionnaires, anti-capitalistes, en même temps qu'il déboucherait sur la négation des chambres à gaz, c'est-à-dire sur la négation des crimes inimaginables et incomparables du fascisme (considéré comme quelque chose d'étranger au capitalisme).

Dès qu'elle sort du champ étroit de la simple chronique des faits et gestes d'individus pour énoncer des conclusions politiques générales, notre historienne ne se soucie pas le moins du monde d'étayer ses affirmations ou ses interprétations, qui relèvent de la propagande démocratique bourgeoise la plus banale. La raison en est simple: derrière l'apparence objective, tout son travail n'est rien d'autre qu'une contribution, plutôt grossière, à la consolidation de l'idéologie dominante au service de la défense du capitalisme. Or, comme elle le rappelle elle-même, l'idéologie est par définition l'opposé d'une «démarche scientifique ou même critique» C'est la raison pour l'adversaire mortel de toutes les idéologies et de tous les idéologues est le matérialisme.

• • •

[La suite de cet article a été publiée dans le numéro 457 du «le prolétaire» avril-mai-juin 2001]

Perversité du «bordiguisme»
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Valérie Igounet estime qu'il existe une spécificité française et qu'elle est constituée par l'affaire Faurisson: le soutien accordé dans les années 80 à ce professeur passablement réac qui nie l'existence des chambres à gaz et trouve des excuses à Hitler dans l'attitude hostile des Juifs à son endroit, par des éléments qu'elle dit influencés par le «bordiguisme». Les bourgeois, historiens ou non, ne peuvent s'empêcher de personnifier les positions politiques car ils ne voient dans les événements que l'action de quelques grands hommes imposant leur volonté toute puissante à des troupeaux humains. Les «thèses de Bordiga» ne sont rien d'autre que les véritables positions classistes, positions qui dépassent les individus particuliers qui les expriment à un moment ou un autre de l'histoire. Mais faire comprendre cela à une historienne est au-dessus des forces humaines!

Quant à l'idée que ces négationnistes soient ou aient été plus ou moins proches de nous, elle est réfutée par les intéressés eux-mêmes; ce qui, et ce n'est pas un hasard, avait séduit certains dans la mouvance d'où ils sont issus, c'est bien davantage la déviation intellectualiste et anti-parti représentée par la revue «Invariance» dont les animateurs avaient rompu avec notre organisation au milieu des années 60 (14).

Igounet reconnaît comme à contrecœur que, dans le milieu qu'elle qualifie d'ultra-gauche, quelques critiques se sont élevées contre Faurisson et les «groupuscules» («La Guerre Sociale», principalement) qui le soutiennent. À ce propos elle écrit que «la critique du Parti Communiste International [contre ces derniers] doit être éclaircie» (15), et elle va même jusqu'à citer quelques phrases d'articles du «Prolétaire», admettant - il serait difficile de faire autrement - qu'il n'y avait pas «intégration des thèses faurissoniennes». Mais elle le fait d'une façon telle que notre critique semble se résumer à l'accusation, en apparence abstraite et sans grande portée, que «La Guerre Sociale» était aussi anti-matérialiste que les démocrates: en fait, au lieu d'éclaircir notre position, elle la cache.

Pour que notre critique soit effectivement éclaircie, nous allons citer un peu plus largement l'un de ces articles; il semble en effet écrit tout exprès pour réfuter vingt ans à l'avance les stupidités haineuses de notre historienne et de toute la confrérie des dénonciateurs de «bordiguisme».

Il s'agissait d'une critique d'un tract du groupe susnommé qui, prétendant combattre l'antifascisme démocratique, posait en fait le problème à l'envers:
«
Au lieu de dénoncer le contenu réel de la démocratie et d'éveiller la révolte des ouvriers contre toutes les formes de la domination capitaliste. ils s'appliquent à montrer que le fascisme n'est pas pire que la démocratie, ce qui banalise finalement toute l'exploitation et toute l'oppression bourgeoises. Au lieu de mettre la démocratie en accusation, ils en arrivent quasiment à excuser le fascisme, et à reprocher aux démocrates d'«inventer» les crimes de la dictature ouverte de la bourgeoisie.
Cette absurdité est due au fait que, même s'il leur arrive de copier des phrases marxistes, ces gens sont des idéalistes qui ont la même conception anti-matérialiste de l'histoire que le démocrate bourgeois vulgaire. D'où leur acharnement stupide, inexplicable autrement, à nier à toute force l'existence des chambres à gaz dans les camps d'extermination. Pourquoi y tiennent-ils au point d'en faire presque une conception de principe?
Pour le philistin démocrate, l'extermination des Juifs est l'horreur inexplicable par essence, le «crime gratuit» des «monstres» nazis. Nos braves anarchistes et anarchisants ne comprennent pas plus qu'eux, ils voient les faits de la même façon. Et comme ils les dérangent, ils nient qu'ils aient eu lieu.
(...) En réalité personne n'a besoin d'«inventer» des horreurs et il est difficile d'«exagérer»: le capitalisme en produit beaucoup plus que l'imagination ne saurait le faire. Le tout est de savoir quelle attitude on a devant des horreurs.
(...) Le prolétariat ne nie pas la réalité des tortures, massacres et exterminations, même s'il n'est pas le seul à les subir. Il ne nie pas les horreurs innombrables perpétrées par la bourgeoisie, mais il montre leur cause réelle. Ce qui - attention! - ne veut pas dire qu'il absout les agents d'exécution. Ces horreurs ne le laissent nullement indifférent, elle suscitent sa haine et sa volonté de les combattre. Mais il ne peut les combattre vraiment qu'en se plaçant sur son terrain de classe, avec sa perspective de classe et ses armes de classe, et non pas en s'alliant avec des forces qui en réalité visent à le paralyser et à le soumettre à l'ordre bourgeois
» (16).

À l'évidence Igounet ne peut évoquer notre analyse qui est sans aucune équivoque, car sinon il lui serait impossible de continuer à nous accuser. Elle ne pourrait affirmer péremptoirement:
«
ces quelques critiques ne doivent pas occulter une attirance de I'ultra- et de I'extrême gauches françaises pour la négation du génocide juif
»,
attirance dont elle veut voir la preuve entre autres dans notre présence et la vente de notre brochure dans les fêtes de Lutte Ouvrière en dépit des protestations de «Ras le Front»
(17). Devant tant de malhonnêteté flagrante, le lecteur appréciera tout le sel de la mélancolique réflexion de l'historienne:
«
les critiques initiales de la gauche marxiste, vis-à-vis de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, auraient pu être plus opérantes si elles n'avaient pas été perverties par deux systèmes de pensée: le bordiguisme et le négationnisme» (18).

Il y a des coups de pied au cul qui se perdent...

Les négationnistes, alibi des démocrates
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Nous sommes d'accord sur un point avec notre accusatrice qui fait mine de soupirer après un marxisme bien gentil, non perverti par les matérialistes attachés à la lutte des classes: il y a bien une certaine «spécificité française» (bien qu'à la vérité elle soit toute relative). En effet, s'il existe, en petit nombre, des négationnistes dans différents pays (ils sont les plus nombreux aux États-Unis), c'est seulement en France, ou presque seulement, qu'ils viennent périodiquement sur le devant de la scène médiatique, c'est seulement en France qu'ils provoquent des affaires retentissantes - et c'est seulement en France qu'on peut faire carrière en écrivant de gros livres à leur sujet.

Si régulièrement les médias montent en épingle les négationnistes, s'ils font grand tapage autour d'eux, non sans doute pour les approuver mais pour se scandaliser bruyamment de leurs activités, c'est parce qu'ils sont utiles à la bourgeoisie française, parce qu ils remplissent une fonction nécessaire à son système politique, au point que s'ils n'existaient pas il faudrait les inventer - et d'ailleurs ils ont été créés en tant que courant par ces mêmes médias qui les ont fait connaître au grand public! L'antifascisme démocratique, cette union interclassiste pour défendre une forme de l'État bourgeois, faire renoncer le prolétariat à ses intérêts de classe et l'enrôler dans la guerre impérialiste, est en effet, aujourd'hui encore, un élément fondamental de l'idéologie officielle en France.

Mais au fur et à mesure que l'époque de la guerre s'estompe et avec elle le souvenir du nazisme, l'antifascisme démocratique a besoin d'être réactivé par des campagnes d'opinion périodiques qui doivent faire croire à l'existence d'une menace fasciste et à un renouveau de l'antisémitisme. C'était ce qui s'était passé au moment où l'article «Auschwitz...» avait paru sur Programme Communiste, c'était ce qui s'était passé lorsqu'il avait été publié en brochure pour la première fois (dans ce dernier cas c'est la publication par «l'Express» d'une interview de l'ancien Commissaire aux questions juives, qui avait déclenché une campagne d'opinion). Depuis lors ces mobilisations idéologiques ont pris de l'ampleur sous le prétexte de la poussée électorale du Front National, au point que se sont constituées des organisations dont le seul objectif est de diffuser l'antifascisme démocratique («Ras l'Front»).

De plus, et c'est peut-être là où réside la spécificité française, cette idéologie est aussi utilisée par la bourgeoisie française sur le plan de la politique extérieure, vis-à-vis de l'éternel rival allemand. Le mythe de la France antifasciste et, corollairement, du caractère «antinational» du régime pétainiste, a été à nouveau spectaculairement réaffirmé lors du procès Papon; ce dernier a été condamné pour complicité de crime de génocide - complicité avec les Allemands - parce que, par définition, un haut fonctionnaire français ne peut être accusé de crime de génocide, car cela serait reconnaître la responsabilité historique de l'État français (et de la classe dominante). Seule l'Allemagne est éternellement responsable de ce crime imprescriptible et, pour se racheter, elle doit manifester les plus grandes attentions à l'égard des intérêts de la vertueuse France, victime innocente de la barbarie germanique.

L'enjeu des campagnes démocratiques récurrentes contre une prétendue menace fasciste, contre un regain de l'antisémitisme, c'est aussi de banaliser ou d'occulter la diffusion, par les institutions bourgeoises, du racisme anti-immigrés et plus généralement de la xénophobie et des divisions raciales parmi les prolétaires et les masses exploitées: ce racisme-là, quotidien, ne fait pas la une des médias, sauf quand il s'agit de dénoncer des réactions violentes de jeunes prolétaires ou de détourner sur le terrain démocratique inoffensif une éventuelle mobilisation, parce que, provoquant la division et donc la paralysie de la classe ouvrière, c'est un des piliers majeurs de la domination bourgeoise sur le prolétariat.

Dans ces conditions, les «négationnistes», ceux qui nient les crimes de l'Allemagne nazie, tombent à pic pour constituer une nouvelle preuve de la menace toujours résurgente du fascisme (et de la menace allemande) qui justifie la mobilisation interclassiste pour la défense de la démocratie française. La présence à leurs côtés d'éléments «ultragauches» qui se réfèrent très vaguement à la critique marxiste faite par notre courant de l'antifascisme démocratique, représente une aubaine supplémentaire pour les chiens de garde idéologiques de la bourgeoisie.

Quelle meilleure opportunité, en effet, pour faire croire à une convergence des extrémistes anti-démocrates des deux bords, à la chute inévitable du marxisme intransigeant dans les perversions totalitaires, quelle meilleure opportunité pour une campagne préventive contre l'indépendance de classe du prolétariat, de ses luttes et de ses organisations?

Shoah business
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Il est un autre aspect qui donne un éclairage singulier à l'ouvrage d'Igounet: c'est ce que certains historiens appellent le «Shoah business», le business du génocide tout particulièrement actif aux États-Unis, mais qui existe aussi en Europe. Des ouvrages américains récents, écrits par des auteurs qui ne sont ni des négationnistes antisémites, ni des marxistes pervertis par la lecture de nos publications, ont étudié l'histoire de la commémoration du génocide juif. S'appuyant également sur les «nouveaux historiens» israéliens qui décrivent comment les dirigeants de cet État «ont utilisé la Shoah pour renforcer l'État juif», ils montrent que la mémoire de l'Holocauste est «une construction idéologique» (19) et qu'au début des années 70 s'est créée aux États-Unis une «industrie de l'holocauste» dont l'un des piliers est le caractère soi-disant unique du massacre des Juifs par les nazis.

Finkelstein, fils de survivants du ghetto de Varsovie - qu'il est donc difficile d'accuser d'antisémitisme -, affirme dans son livre que
«
la place du génocide juif dans le discours public des dirigeants Juifs américains est historiquement déterminée, non par I'intérêt des victimes survivantes, mais par le loyalisme à l'égard du gouvernement américain»
(20). D'après lui:
«
Le système de l'Holocauste repose sur deux dogmes centraux: 1,) l'Holocauste constitue un événement historique unique; 2) l'Holocauste constitue le point culminant de la haine irrationnelle (...) envers les Juifs
».
«
(...) L'unicité est une donnée première dans le système de l'Holocauste. La tâche désignée [de ceux qui écrivent sur ce sujet -NdlR] est d'en apporter des preuves, alors que l'expression d'un doute équivaut à du négationnisme.
(...) De l'holocauste phénomène unique à l'Holocauste qu'on ne peut apprécier rationnellement, il n y a qu'un pas. Si l'Holocauste est sans précédent dans l'histoire, sa place est au dessus de l'histoire et il n'est donc pas possible de le comprendre par l'histoire. (...) Selon cette vision, la compréhension rationnelle de l'Holocauste équivaut à sa négation. Car la rationalité conduit à nier l'unicité et le mystère de I'Holocauste
»
(21).

On comprend ainsi mieux l'origine des attaques d'Igounet et d'autres (de Ras l'Front à Mouvement Communiste) contre l'«hyper-rationalisme» de notre conception, contre notre effort pour expliquer de façon matérialiste ces tragiques événements, et l'accusation bizarre que cela conduirait à ce qu'Auschwitz ne soit plus un événement «inimaginable»: c'est l'écho ici de la puissante propagande développée là-bas.

Finkelstein ne se gène pas pour affirmer que le concept d'«unicité de la Shoah» est une «mystification», «intellectuellement vide et moralement indigne», parce qu'il interdit par exemple de faire le moindre rapport entre Auschwitz et Hiroshima, ou entre le massacre des Juifs et celui des Arméniens. Ce concept est, selon lui, la base d'un véritable business (une industrie, écrit-il) dont profitent non seulement des intellectuels de renom se livrant à une véritable «escroquerie intellectuelle», mais qui permet surtout aux organisations américaines juives de se livrer à un véritable «racket» pour obtenir des réparations de divers pays et institutions européennes. Les sommes ainsi obtenues sont pour l'essentiel conservées par ces organisations au lieu d'être distribuées aux familles des victimes (ce qu'il appelle la «double extorsion». Enfin, l'exploitation idéologique du souvenir du génocide est utilisée par
«
un pays doté d'une puissance militaire parmi les plus redoutables, présentant un dossier désastreux en matière des droits de l'homme
»
- Israël -, pour se présenter en État-victime.

En remettant en cause le caractère unique du massacre de masse des Juifs par les nazis et en dénonçant avec virulence l'utilisation et la «sacralisation» hypocrites de ce massacre depuis quelques décennies, ces auteurs - dont les ouvrages ont provoqué un beau scandale mais qui n'ont pas été réfutés - sapent complètement deux des piliers de la construction idéologique de notre historienne et donc de l'accusation qu'avec tous les démocrates elle porte contre nous et contre le marxisme.

Il ne faut pas aller chercher bien loin pour voir s'écrouler le dernier pilier et l'édifice complet.

Annexe: et les chambres à gaz?
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Valérie Igounet publie en effet en annexe de son ouvrage le texte complet d'un entretien avec un certain J.C. Pressac dont elle a utilisé les archives. Collaborateur dans un premier temps de Faurisson, cet ancien négationniste s'est convaincu au cours de ses recherches de l'erreur de ce dernier. Il a alors publié un ouvrage technique qui a été salué par la presse comme apportant, pour la première fois, la preuve irréfutable de l'existence des chambres à gaz dans les camps nazis. Étudiant les plans des installations d'Auschwitz, Pressac conclut cependant que leur transformation homicide irréfutable a été effectuée après leur construction et leur mise en service:
«
Les premiers résultats obtenus furent de deux socles. Concernant l'histoire du camp, la démonstration que les crématoires avaient été projetés comme des installations sanitaires normales, puis aménagés en centres de liquidation des «Juifs inaptes au travail», c'est-à-dire les femmes, les enfants et les vieillards. (...) La transformation criminelle fut entreprise fin novembre 1942».

Pressac établit ainsi qu'il n'y a pas trace d'une volonté exterminatrice qui aurait caractérisé le régime nazi depuis ses origines (ou même avant, depuis la fondation du parti nazi), puisque les «chambres à gaz homicides» lorsqu'elles existent (leur date de mise en fonction est échelonnée selon les camps) ont été le résultat d'une modification d'installations antérieures, prévues pour un autre usage (désinfection). Il révise aussi à la baisse les estimations du nombre réel de victimes dans les camps de concentration et il avance que
«
le coefficient multiplicateur émotionnel [des estimations antérieures par rapport à la réalité] varie de 2 à 7 et est en moyenne de 4 à 5
».
Résumant les conclusions de ces travaux il écrit
«
Quant au massacre des, Juifs, plusieurs notions fondamentales doivent être entièrement reprises. Les chiffres avancés sont à revoir de fond en comble. Le terme de «génocide» ne convient plus (...).
Il faut abandonner le concept d'une extermination systématique programmée dès l'origine. Il y eut plutôt une radicalisation progressive, imposée par la guerre qui elle-même exacerbait l'antisémitisme violent de Hitler et de son entourage direct. Des mesures de plus en plus coercitives, de plus en plus drastiques, furent élaborées et appliquées pour aboutir en avril 1942 au «massacre de masse»
» (22).

Si ce n'est pas là, d'une certaine façon, la confirmation d'un des points qui nous vaut l'accusation d'être à l'origine du négationnisme (le fait que le massacre des Juifs n'a pas été la conséquence, planifiée longtemps à l'avance, des mauvaises idées des nazis, mais la conséquence de la situation dans laquelle se trouvait le capitalisme allemand), qu'est-ce que c'est? Et si, d'autre part, nos adversaires nous accusent de réviser l'histoire officielle en y appliquant un réductionnisme marxiste qui ouvrirait la voie à la négation du génocide, que ne devraient-ils pas dire de ce Pressac?

Mais il est vrai que celui-ci n'est pas un marxiste, mais un bourgeois conservateur: ses propos sont peut-être dérangeants, ils ne sont pas dangereux...

• • •

De toutes les disciplines l'histoire est sans doute celle qui peut le moins se prétendre au-dessus de la société et de ses conflits de classes et d'État, ne serait-ce que parce qu'elle ne peut se contenter de collecter et rassembler des «faits bruts», mais doit les ordonner et les interpréter selon une analyse bien précise. Le marxisme, c'est-à-dire le matérialisme historique, est le seul à pouvoir faire une analyse correcte des événements, le seul à pouvoir percer le brouillard des idéologies qui voile et déforme les causes et le sens des actions humaines dans les sociétés divisées en classes antagoniques. Cela ne signifie pas que son rôle est de faire triompher la vérité sur les mensonges de l'idéologie bourgeoise, car ce triomphe nous l'attendons non du choc des idées, mais de l'affrontement de classe poussé jusqu'à sa conclusion ultime, le renversement des États bourgeois et l'instauration de la dictature internationale du prolétariat, étape indispensable pour déraciner le capitalisme et ouvrir la voie à la société communiste. Mais en dissipant les rideaux de fumée de l'idéologie bourgeoise, le marxisme permet à l'avant-garde prolétarienne, organisée dans son parti de classe, de diriger cet affrontement en évitant tous les traquenards tendus par la classe ennemie, grâce aux leçons des batailles passées, des victoires comme des défaites.

La polémique contre la série bigarrée de nos adversaires sur cette question cruciale qui fit dévier le mouvement communiste - la lutte contre le fascisme et l'attitude à avoir vis-à-vis de la démocratie bourgeoise - n'a donc rien d'académique ou de littéraire: il s'agit rien moins que de la défense des positions cardinales du marxisme, la défense de la nécessité absolue de l'indépendance de classe du prolétariat, la défense de la position anti-démocratique de la lutte prolétarienne. Cette polémique se mène aujourd'hui à coups de tracts, d'articles ou de livres, donc sur un plan, semble-t-il, désincarné, sur le plan seul des idées. Il ne faut pas s'y tromper: demain l'adversaire utilisera des moyens plus «matériels» en sus de ses moyens «idéologiques» et politiques, pour combattre les marxistes et empêcher qu'ils «pervertissent» les prolétaires. La classe ouvrière devra répondre également par toute la gamme des moyens à sa disposition, sans reculer devant le recours à la force, sans regretter le temps «heureux» où la bourgeoisie l'exploitait et la dominait démocratiquement.

Et c'est sur ce terrain, sur le terrain de la force ouverte, classe contre classe, que finalement se décidera l'issue de la polémique - et l'avenir de l'humanité!

Notes:
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  1. Tract «rédigé par des militants de Ras l'front 18» Tous les passages en Helvetica qui suivent sont, sauf affirmation contraire, tirés de ce tract. [back]
  2. Cette curieuse précision n'est pas faite par hasard: elle a pour but, non de nous refuser une discussion démocratique que nous n'avons jamais envisagé de lui proposer, mais de dissuader les propres militants et sympathisants de «Ras l'front» de prendre connaissance de nos positions et d'en discuter, de la même façon que les staliniens traitaient les révolutionnaires d'«hitlériens», de «provocateurs fascistes», etc., afin d'empêcher tout contact avec ceux-ci, et de justifier leur mise à l'écart expéditive. On pourrait citer ainsi la fière réplique d'un militant de Ras l'front dans une réunion parisienne à la question de savoir s'il avait lu la brochure qu'il venait de dénoncer dans son intervention:
    «
    je ne lis pas la littérature de merde!»
    [back]
  3. cfP. Vidal Naquet, «Les assassins de la mémoire», La Découverte, 1995. Historien spécialiste de l'antiquité grecque, Vidal Naquet qui est aussi directeur des Archives Juives de Paris, est un intellectuel de gauche célèbre. [back]
  4. La brochure relate l'affaire de Joël Brandt qui, avec l'accord de Himmler, avait tenté sans succès d'intercéder auprès des autorités alliées pour qu'elles sauvent des Juifs (il s'agissait de négocier l'exil d'un million de Juifs). Vidal Naquet essaye de relativiser cette affaire en y voyant simplement une manœuvre du chef SS qui sentait la guerre perdue. S'il est évident qu'il y avait une manœuvre, il est tout aussi évident que les Alliés ont froidement refusé d'accueillir le moindre de ces Juifs! Nous renvoyons à notre article sur le n° 440 de ce journal où sont reportés d'autres faits du même genre, accablants pour les «Démocraties». [back]
  5. Yehuda Bauer, «Juifs à vendre?», Ed. Liana Levi, 1996. Cité dans le «Prolétaire» n° 440. Le professeur ajoutait aussi, comme notre brochure, que même une fois le massacre commencé, les nazis auraient pu changer de politique ils ont fait des ouvertures auprès des Alliés pour faire émigrer les Juifs contre diverses contreparties; mais si les Juifs étaient à vendre par les Nazis, personne, en face, dans le camp des Démocraties, n'en voulait! [back]
  6. Le tract continue en avançant, pour réfuter notre analyse en termes de classes, les arguments suivants:
    1) «
    la plupart [des Juifs] étaient ouvriers ou salariés
    ».
    Nous avons déjà répondu à une affirmation de ce genre, avancée par le groupe «Mouvement Communiste» en montrant qu'elle est contraire à la vérité: voir «Le Prolétaire» n° 444;
    2) Les Tsiganes, homosexuels et handicapés n'appartenaient pas à la petite-bourgeoise, et pourtant ils ont été persécutés et massacrés. Mais c'est bien à notre avis la raison pour laquelle l'hostilité envers ces groupes n'a jamais pris l'ampleur, le poids social et le rôle politique de l'antisémitisme. Par ailleurs, que devient, avec cette constatation, l'affirmation de Ras l'front sur le rôle exclusif de l'idéologie antisémite dans-les massacres des Nazis?
    3) On peut se demander pourquoi le grand capital n'en a pas profité pour éliminer. toute la petite bourgeoisie (!). Et bien tout simplement parce qu'éliminer toute la petite bourgeoisie, à supposer que cela eut été possible (qui l'aurait fait?), aurait laissé la grande bourgeoisie seule, sans aucune couche-tampon face au prolétariat. Le grand capital avait besoin d'utiliser la petite bourgeoisie, après avoir détourné sa colère sur le bouc-émissaire idéal que constituait le concurrent Juif, comme troupe de choc contre le prolétariat déboussolé mais encore organisé (pour motiver ces petits bourgeois enragés, tenaillés par la crainte d'être déclassés, qu'étaient les militants nazis, la lutte de classe, le marxisme, etc., étaient dénoncés comme inventions juives); puis de l'utiliser pour encadrer la mobilisation générale, dans l'économie de guerre et dans la guerre elle-même, de la classe ouvrière et des masses laborieuses au nom de la patrie et, au delà de la patrie, puisque le Reich englobait plusieurs nations, au nom de la race allemande. C'est pourquoi l'antisémitisme a continué à jouer pendant la guerre le rôle de mobilisation idéologique qui avait si bien servi au grand capital dans la période précédente. La guerre était présentée par la machine de propagande nazie comme une action vitale de défense pour la race allemande contre les actions hostiles de la race juive: c'était une explication qui satisfaisait parfaitement la base et les cadres de l'appareil nazi.
    [back]
  7. cf. «Histoire du négationnisme en France», Ed. du Seuil, mars 2000. [back]
  8. Igounet décrit plusieurs «âges», plusieurs générations de négationnistes correspondant à quelques individus, d'authentiques fascistes dans un premier temps jusqu'au professeur de lettres Faurisson au début des années 80, en passant dans les années 50 par l'ancien résistant déporté Rassinier, ex-social-démocrate devenu libertaire fricotant avec l'extrême-droite. Elle consacre une partie importante au négationnisme d' «ultra-gauche» dont elle voit la source dans notre brochure et dans notre critique de l'antifascisme démocratique. [back]
  9. Elle n'avance aucun élément pour étayer son affirmation que certains ultra-gauches soutiendraient que de la sacralisation de la Shoah résulte [sic] un nouvel Etat souverain (ce qui serait une ultra-stupidité). Par contre nul ne peut nier que les dirigeants israéliens n'ont cessé d'utiliser l'argument du génocide pour justifier leurs actions etfaire taire les critiques. [back]
  10. Il n'y a pas de doute qu'existe dans l'extrême-droite un filon antisémite, étroitement lié au courant catholique intégriste et aux nostalgiques du pétainisme, mais qui n'a plus, et de loin, l'importance qu'il avait autrefois, ni l'importance actuelle du racisme anti-immigrés. C'est ce courant traditionaliste qui l'emportera finalement dans le Front National, provoquant au milieu des années quatre-vingt le départ des Juifs qui s'y trouvaient. [back]
  11. Depuis sa naissance le sionisme a toujours cherché un parrain impérialiste pour arriver à ses fins (la création d'un Etat juif). Il n'hésita même pas à passer des accords avec l'Allemagne nazie pour faciliter l'émigration juive et les transferts de capitaux juifs en Palestine contre la promesse d'achats de marchandises allemandes (accord dit la Haavara). En dépit de l'hostilité entre autres du ministère des Affaires étrangères qui redoutait des complications avec la Grande-Bretagne, cette Haavara fut maintenue sur instruction d'Hitler lui-même pratiquement jusqu'à la guerre. Pour une description détaillée, voir Yehuda Bauer «Juifs à vendre», Ed. Liana Levi, p. 21-54. [back]
  12. Le groupe dilettante anarchisant, anti-léniniste et anti-parti, de la Vieille Taupe, ne pouvait qu'être fondamentalement hostile à ces positions, même et surtout quand il affectait, par snobisme intellectuel, de trouver intéressants certains écrits de l'individu Bordiga. C'est d'ailleurs la revue «Invariance» - déviation dès l'origine intellectualiste - issue d'une scission du parti au milieu des années soixante, qui, selon leurs propres dires, eut une certaine l'influence dans ce milieu [back]
  13. cf «Histoire du négationnisme...», p.188. [back]
  14. Selon Igounet: «(...) Pierre Guillaume insistait sur l'importance (le la revue Invariance, reprenant les thèse d'Amadeo Bordiga. (...) Ils se reconnaissent dans Bordiga sur un point essentiel: le rejet de l'antifascisme. (...) Pierre Guillaume considère Auschwitz ou le grand alibi comme un texte essentiel, un texte conférant un point de vue théorique sur l'interprétation du génocide encore plus solide que celui de Paul Rassinier» [sic! Cet ancien résistant et député social-démocrate passé à l'anarchisme, toujours étranger au marxisme, était bien incapable de donner un quelconque point de vue théorique sur quelque sujet que ce soit!]. cf. «Histoire du négationnisme...», p. 186. En fait la véritable nature politique et donc l'hostilité irréductible de ces gens à l'égard de notre courant peut se déduire facilement d'un témoignage qui les décrit comme «des anti-bolchéviques viscéraux» cf. op. cit., p. 184, note 8.Pour une critique d'«Invariance», voir «Programme communiste» numéro 67 (juillet 1975): «Mise au point à propos de certains «dépasseurs du marxisme»».
    Plus loin, Igounet classe un groupe comme le P.I.C. («Pour une Intervention Communiste») existant dans les années 80 où il publiait «La jeune taupe», qui défendait les thèses négationnistes, parmi ceux qui utilisaient «le prisme déformant du bordiguisme», parce qu'il critiquait «les démocraties «bourgeoises et capitalistes»»!... Il s'agissait en l'occurrence d'un groupe anarchisant issu du CCI.
    [back]
  15. cf. «Histoire du négationnisme en France», p. 708. [back]
  16. cf. «Anti-antifascisme infantile», Le Prolétaire numéro 322. [back]
  17. Elle révèle à ses lecteurs que «en 1998, à la fête de Lutte Ouvrière, était diffusé sur le stand du PCI, Auschwitz ou le grand alibi. Malgré l'insistance de l'organisation antiraciste Ras l'front qui a demandé le retrait de cet ouvrage, la direction de la fête n 'a pas souhaité intervenir». Ras l'front lui signale que cette brochure était déjà en vente «il y a 4 ans», cf. «Histoire...», p. 602. Voir à ce sujet «Le Prolétaire» numéro 446. Nous pouvons lui apprendre que nous diffusons cette brochure à cette occasion depuis plus de vingt ans...
    Dans le paragraphe final de sa conclusion, consacré à l'extension internationale du négationnisme, elle cite le cas de l'Italie ou, comme, en France, des éléments «de tendance bordiguiste» diffuseraient ces positions. Précisons donc que, contrairement à ce qu'elle écrit, la Maison d'Édition génoise «Graphos» (visée parce qu'elle a publié en italien le livre de Garaudy «Les fondements de la politique extérieure d'Israël») n'est pas animée par des «anciens amis d 'Amadeo Bordiga» et n'est pas non plus liée, à notre connaissance, au «Gruppo Comunista Internazionalista», groupe issu d'une scission du parti en 1965. Il s'agit d'une Maison d'Édition publiant des œuvres et des auteurs marginaux de diverses provenances - y compris des textes de Bordiga - sur une base purement commerciale.
    [back]
  18. cf. «Histoire...», p. 309. [back]
  19. cf. Peter Novick, «The Holocaust in American Life», cité dans «Libération», 15/2/1. Selon cet auteur:
    «
    Prétendre que l'Holocauste fait partie de l'histoire de l'Amérique, est un alibi moral» qui permet «de se décharger de responsabilités qui, en réalité, incombent aux Américains, confrontés à leur passé, leur présent et leur futur
    »,
    cité dans Norman G. Finkelstein, «L'industrie de I 'Holocauste. Réflexions sur l'exploitation de la souffrance des Juifs», Ed. La Fabrique, p. 138. Finkelstein rappelle non seulement que la référence à l'Holocauste est utilisée comme excuse par les dirigeants israéliens, mais il souligne que, reprise par les dirigeants américains pour vilipender leurs adversaires du moment, la référence aux massacres nazis leur sert aussi d'alibi pour relativiser, camoufler ou nier les propres crimes et génocides commis par les États-Unis ou leurs alliés.
    [back]
  20. cf. «Brouillage sur l'Holocauste», «Libération», 8/3/1. [back]
  21. cf. N. Finkelstein, «L'industrie de l'Holocauste...», op. cit. Le présentateur de l'ouvrage prend bien soin d'expliquer que les thèses de l'auteur ne peuvent s'appliquer à la France, où un «devoir de mémoire» s'imposerait en raison d'une montée de l'antisémitisme et du rôle du pétainisme (cette précaution n'a pas empêché qu'une action en justice soit déclenchée contre ce livre pour «incitation à la haine raciale»!). Dans une interview, l'auteur précise qu'il ne trouve pas absurde ce «devoir de mémoire», mais - et ce mais détruit tout ce qu'on voudrait lui faire dire -
    «
    à condition de ne pas considérer seulement l'holocauste nazi [c'est justement ce que veulent tous nos adversaires] (...). Les organisations juives américaines ont transformé ce devoir de mémoire en industrie de l'Holocauste. Elles ont volé et sali ce qui c'est passé en Europe» cf.«Libération», 15/2/1.
    [back]
  22. cf. «Histoire...» p. 454 et 641. Si la presse et les historiens ont à peu près unanimement encensé les travaux de Pressac, il lui a fallu d'abord publier aux États-Unis pour contourner les réticences de certaines notabilités en France (comme celle du président du Centre de Documentation Juive); ses conclusions inconoclastes lui ont valu en effet d'être accusés par certains de «faute morale» ou de «révisionnisme invisible» et Igounet elle-même juge plus prudent d'écrire que sa position est «ambiguë». cf. «Histoire...» 447-456. [back]

 

5) Un monde sans argent

 

 

http://www.geocities.com/~johngray/mondtitl.htm#toc

 

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6) A bas le prolétariat. Vive le communisme !

 

 

http://infokiosques.net/imprimersans2.php?id_article=560

La servitude acceptée

Le plus grand obstacle à l’émancipation du prolétaire est en lui-même. Le vrai désastre pour l’ouvrier, c’est sa complaisance à l’égard de sa misère, sa façon de s’accommoder et se consoler de son impuissance. Et pourtant l’expérience lui a appris qu’il n’a pas de recours auprès du système qui l’opprime et qu’il ne saurait s’en sortir sans lutter. Mais il préfère se défouler dans le vide et habiller de fausse colère sa passivité.

Le fatalisme et la résignation règnent dans les rangs ouvriers. C’est clair, il y aura toujours des patrons, d’ailleurs il y en a toujours eu ; il n’y a pas grand chose à espérer quand on est né du mauvais côté de la barrière. Certes, il arrive que le prolétaire se fâche et n’accepte plus une situation qu’il juge insupportable. Mais est-ce pour mettre au point un plan d’action ? Non ! à défaut de pouvoir atteindre ceux qui prospèrent sur son dos, il décharge son ressentiment sur ceux qu’il rencontre au coin de la rue : petits chefs, bicots et autres métèques. Il a le sentiment de les entretenir. Pour les mêmes raisons il en veut à sa femme et à ses enfants, s’ils ne lui donnent pas les satisfactions qu’il en escompte et ne compensent pas, par un ménage impeccablement tenu ou les résultats scolaires appropriés, son sentiment d’infériorité sociale. L’employé se démarquera fièrement de l’ouvrier parce que celui-ci se salit les mains et en retour sera méprisé comme gratte-papier parasite. Celui qui est syndiqué se sentira supérieur a celui qui ne l’est pas encore mais qu’il convient de rendre conscient. A son tour, il fournira un sujet de plaisanterie, à vrai dire facile.

Même quand il n’est pas aigri, incapable de reconnaître ce qu’il y a de bon dans la vie et sa propre part de chance le prolétaire reste prisonnier de son mode de vie borné. Il accepte sa servitude jusqu au point de reconnaître, à un certain âge, que les choses s’améliorent progressivement, que la jeunesse mécontente devrait savoir reconnaître les « acquis ».

Il y a un sentiment très communément partagé par les prolétaires de tous les pays. Ce n’est pas l’internationalisme, mais le sentiment que ça pourrait être pire ailleurs... Mieux vaut s’accrocher à sa place, car à côté, et pour le même boulot... Le travailleur a la consolation d’avoir trouvé, au milieu du malheur général, la planque.

Le travail reste la meilleure des polices. Il tient chacun en bride et entrave puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance car il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la rêverie, à l’amour ; il présente constamment à la vue un but mesquin et assure des satisfactions médiocres mais régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanence aura davantage de sécurité : et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême.

Il existe encore des imbéciles pour honorer la répugnante activité et ne point la fuir spontanément. Celui-là qui se démolit jour après jour la santé sera fier de ses biceps et se réjouira de ne plus avoir besoin de faire du sport pour être en forme. Dans certains ateliers il règne une véritable mentalité olympique. Le salaire aux pièces et les bonus ne sont même pas nécessaires pour que chacun y aille de son petit record. Mépris ouvert ou paternalisme pour celui qui n’est pas capable ou qui s’en fout. Il est cependant de plus en plus difficile de croire à l’utilité réelle de ce que l’on fait, et l’indifférence, le dégoût même à l’égard du travail gagnent du terrain.

Pourtant celui qui cesse de travailler a souvent mauvaise conscience. Malades ou chômeurs, beaucoup ont peur de ne pas être à la hauteur, honte de se laisser aller. Celui qui se mesure au travail croit se prouver qu’il n’est pas une loque et qu’il a une utilité sociale. On touche là le caractère fondamental de la misère prolétarienne : sans le travail la vie n’a plus de consistance, plus de sens, plus de réalité.

Ce n’est pas l’intérêt de la tâche qui ramène au turbin, mais l’ennui autant que le besoin du salaire. La routine de la vie quotidienne peut faire croire que l’accès à l’après-travail ou même le chômage sont une libération. Il faut devenir chômeur ou retraité pour constater le contraire. La retraite ou le chômage, c’est le travail au degré zéro.

La misère moderne ne s’exprime pas par le manque de loisirs ou la pénurie de biens de consommation, mais par la séparation de toutes les activités, le morcellement du temps, l’isolement des hommes. D’un côté, une activité productive souvent forcenée, émiettée où les nécessités de la production de capital font de l’homme la carcasse du temps, un instrument parmi les instruments. De l’autre, le temps libre où il est censé s’appartenir mais où, domestiqué par l’éducation et abruti par le travail, il est coupé de tout par la nécessité de payer.

La consommation et surtout les rêves qu’elle permet restent la consolation ultime. L’ouvrière, la vendeuse ou la secrétaire, outre le temps consacré au lèche-vitrines et à la lecture de romans-photos, met sa vitalité à rehausser son rang social par de visibles efforts de toilette. La « féminité » peut s’en donner à coeur joie grâce aux miracles de toutes les marchandises accessibles. Désir d’être prise en considération et adhésion soumise aux représentations serviles de la femme s’entremêlent pour mieux la leurrer sur la réalité de son sort. Le « ménage » ouvrier chérit l’idée de ce petit pavillon de banlieue qui lui appartiendra un jour et où « l’on sera enfin chez soi ». Mais avant tout il y a l’automobile. On rêve de l’acheter, d’en changer. Elle est la mesure de la richesse et du savoir-vivre, elle fournit un inépuisable sujet de conversation. Même si l’ouvrier préfère parler des déboires qu’il a avec son épouse au patron de bistrot et lui montrer les photos de ses gosses, c’est le garagiste qui reste son véritable confident.

Souvent l’ouvrier se montre méfiant à l’égard de la politique, mais il ne s’élève que fort rarement à la critique de la politique et des politiciens. Gonflé par l’importance momentanée que cela lui confère et excité par le côté sportif de l’affaire, il ne se refuse pas à aller déposer à la queue leu leu son bulletin de vote. Il suffit que le vent de l’« Union », recommence à souffler pour que toutes ses illusions apparemment éteintes se ravivent. Peu importe que la gauche ait régulièrement trahi les espoirs que les masses mettaient en elle, que les sociaux-démocrates aient envoyé au casse-pipes en 14, participé aux pires combines bourgeoises, appuyé la répression coloniale. Quant aux prétendus communistes, dès qu’ils touchent au pouvoir, ils font plus que délaisser la défense des intérêts ouvriers : ils appellent à retrousser les manches et n’hésitent pas à réprimer physiquement le prolétariat comme à Cronstadt, Barcelone ou Budapest. Mais que sait l’ouvrier de l’histoire des luttes prolétariennes ? De la Commune de Paris, de la révolution russe, des grèves sous le Front populaire, il ne connaît que des images d’Épinal que les appareils politiques et les instituteurs de gauche ont concoctées à son usage.

S’il est adhérent d’un parti stalinien, le « travailleur » dénoncera les profits abusifs des monopoles et les spéculations honteuses des promoteurs immobiliers. Mais il se met en tête de ne pas saisir ce que sont réellement le profit et la fonction du patron. Il n’y verra que vols, parasitisme, abus des « deux cents familles », et non point d’abord des fonctions économiques que l’on a à liquider en sapant leur base : capital et salariat. Dès qu’il sera question d’un pays modèle et socialiste la Suède ou Cuba, ça dépend des goûts, ces profits, ces fastes, ces bureaux somptueux, ces datchas au service du peuple lui sembleront de suite plus honnêtes. Que n’importe quel gras bureaucrate soit un « dirigeant ouvrier » et son train de vie deviendra une question de dignité ouvrière. Dans les pays où le prolétariat exerce sa dictature, quelle ne doit pas être la satisfaction de l’ouvrier, le matin à l’usine quand il pointe et lève sa casquette devant le contremaître, de savoir qu’en fait il est propriétaire de son entreprise, et en dernière instance le supérieur de ses supérieurs ?...

L’ennemi du prolétariat ce n’est pas tant le pouvoir des capitalistes ou des bureaucrates que la dictature des lois de l’économie sur les besoins, l’activité et la vie des hommes. La contre-révolution moderne est centrée sur la défense de la condition prolétarienne et non sur le maintien des privilèges bourgeois. C’est au nom du prolétariat et des nécessités économiques, avec l’aide de ses représentants politiques et syndicaux, que l’on tente de sauver la société capitaliste.

L’aménagement de la servitude

Protester et revendiquer font aussi partie du rôle de l’ouvrier et de son impuissance. Impuissance, découplage de la réalité et absence de perspective auxquels le conditionne d’abord son travail. Passif et isolé, il accepte de s’en remettre aux appareils bureaucratiques croyant y trouver la cohésion qui lui manque.

Le travailleur, quand il revendique au sein de ses « organisations responsables » entérine ce qui est à la base de sa misère. Que réclame-t-il ? du pain ? de l’espace ? des machines ? les moyens nécessaires pour jouir de sa vie, rencontrer des amis, agir et produire pour eux et avec eux ? Non. Ce qu’il réclame avec obstination, c’est la garantie de pouvoir travailler, se faire exploiter dans les bagnes du salariat, et en contrepartie l’avancement de l’âge de la retraite, pour que les jeunes puissent profiter de leur droit au travail et les vieux préparer leur enterrement. Que l’ouvrier en arrive contraint et forcé par l’environnement économique à aller se vendre pour obtenir de quoi subsister, soit ; qu’une fois au travail il fasse tout son possible pour ne point s’y abîmer la santé, pour poursuivre des activités qui lui soient plus profitables et pour réduire le temps pendant lequel il est exploité, évidemment. Ces attitudes, qui doivent de fait tenir compte de l’environnement capitaliste, n’ont rien à voir avec l’exigence du droit au travail et du droit à la retraite.

Les réformes ne sont pas des conquêtes du prolétariat, mais les aménagements que le système est obligé d’opérer pour assurer sa survie et sa progression. Il ne fait généralement — parfois sous la pression des masses — que liquider ses archaïsmes. Le réformisme ouvrier n’arrive qu’à couvrir les nécessités du développement du capital, en particulier celle de traiter relativement bien la force de travail pour pouvoir l’exploiter avec plus d’intensité.

La crise et les troubles qu’elle entraîne, voilà un moment d’espoir pour les arrivistes et les bureaucrates. Ils tentent alors de se glisser vers les bonnes places devenues libres, par l’action du prolétariat. Cela s’est vu notamment pendant la révolution russe où le parti bolchévique a fait reculer, parfois militairement, les forces vives de la révolution pour restaurer l’ordre capitaliste et la discipline dans les usines : mais aussi lors des révolutions allemande (1918/1923), espagnole (1936/1937)...

Ceux qui fondent leur pouvoir de négociateurs de la force de travail sur l’impuissance et l’atomisation des prolétaires, sont les défenseurs de la société d’exploitation. Ils ont pour programme la gestion de la condition prolétarienne. Ils peuvent bien crier « Vive le prolétariat », puisque, précisément, du prolétariat ils en vivent ! Et s’ils s’affichent sans vergogne, ces héritiers de l’échec des insurrections prolétariennes, c’est qu’ils ont prospéré sur leur fossoyement.

Une grande illusion, l’autogestion

Le capital a mercantilisé tous les rapports sociaux. Mais ce mouvement même a rendu fragiles les mécanismes de régulation du système et tous les équilibres instables de l’accumulation sur lesquels il repose, qu’ils soient monétaires, sociaux, démographiques ou écologiques. La crise de 29 était venue après l’écrasement du prolétariat (échec de période révolutionnaire des années 20), par contre, celle que nous vivons survient à une époque où, le prolétariat redécouvrant sa force, un affrontement décisif se prépare.

L’univers capitaliste repose sur le prolétariat comme aucune autre société de classes ne s’était fondée sur ses esclaves. La classe fondamentale du capitalisme, c’est le prolétariat et non la bourgeoisie. Tant qu’il y a prolétariat, il y a capitalisme et c’est d’ailleurs le caractère révolutionnaire du capitalisme d’étendre le prolétariat, la classe qui exprime la dissolution de toutes les classes, la classe qui ne peut plus reconquérir son humanité et s’approprier son monde qu’en bouleversant sa condition et en détruisant le capital.

Le prolétariat est d’autant plus poussé à l’action qu’avec la crise le mouvement ouvrier devient incapable d’aménager le travail salarié. Par rapport à leurs ancêtres et aux misérables du tiers-monde, les exploités des pays développés sont relativement gâtés. Pourtant la transformation révolutionnaire à venir reposera sur eux, parce que l’écart entre ce qui est et ce qui serait possible est plus grand que jamais. Cet écart, qu’ils en soient plus ou moins conscients, est de toute façon une contradiction qui les incite et les incitera d’autant plus à agir pour dénouer la situation.

A défaut de pouvoir opposer aux dépossédés une idéologie bourgeoise, propriétaire, morale ou religieuse, on leur oppose une idéologie prolétarienne : le socialisme, l’autogestion. La généralisation du salariat a détruit les vieilles valeurs de la propriété et oblige le capital à mettre en avant l’accès aux responsabilités, l’enrichissement des tâches, la démocratisation du pouvoir dans l’entreprise, la participation. Davantage lorsque les difficultés économiques rendent plus douloureuses les compensations en espèces sonnantes et trébuchantes.

Le problème de la gestion ne devient central que dans un univers morcelé et atomisé, où les hommes restent impuissants devant la nécessité économique. Les autogestionnaires et autres apôtres du contrôle ouvrier veulent attacher les travailleurs à « leur » entreprise. Cela se présente concrètement comme l’action de comités dans chaque entreprise, épluchant les comptes, contrôlant le patron ou la direction, surveillant à la fois la production et les activités commerciales. On suppose donc une sorte d’économie éternelle dont les lois seraient à peu près identiques sous le capitalisme et sous le communisme : les travailleurs auraient donc à apprendre les règles de l’administration et du commerce. La logique de la marchandise s’impose et détermine tout : ce qui sera fabriqué, comment, etc... Mais le problème pour le prolétariat n’est pas de revendiquer la « conception » de ce dont il n’assurerait aujourd’hui que la « fabrication ».

Dans le meilleur des cas sa solution serait synonyme d’autogestion du capital. L’exemple de Lip est frappant : les tâches auparavant assurées par le patron deviennent les tâches des ouvriers. En plus du processus matériel ils se chargent de la commercialisation. Mais tous les problèmes que peut poser la « gestion » sont complètement différents dans une, société non marchande. C’est pour cela que le contrôle ouvrier est une absurdité : il ne peut apprendre aux travailleurs que la gestion capitaliste, quelles que soient les intentions de ceux qui l’exercent.

Vantée par les idéologues nouvelle vague, l’autogestion se pare de l’attrait de l’utopie. Mais quel triste rêve que celui où la confusion d’un capitalisme sans capitaliste s’ajouterait au ridicule de travailleurs s’enthousiasmant demain pour ce qui les indiffère aujourd’hui : le maintien du salariat... Face à de futurs débordements, la gauche démocratique voit dans l’autogestion un discours lui permettant de se renforcer, d’être plus achevée, de résorber un mouvement qui s’annonce menaçant.

VIVE LE COMMUNISME

Le communisme balbutié

Ce que la presse et la télévision présentent comme « lutte de classe », combat des travailleurs, n’est bien souvent qu’un spectacle politico-syndical préfabriqué. La force réelle de la classe ouvrière et la peur qu’elle peut inspirer s’expriment de façon plus efficace et plus souterraine. Les attitudes d’indocilité, de refus du travail jouent plus, même sur le niveau des salaires que les défilés rituels du 1er mai. Il existe une complicité entre les différents pouvoirs qui se partagent la société pour dissimuler la guerre sociale qui les menace tous.

De par leur situation, de par les énormes masses de capitaux qu’ils sont chargés d’animer, de par le niveau d’intégration de tous les actes productifs et économiques, les ouvriers disposent de formidables moyens d’action et de pression. Incomparables à ceux dont disposaient les opprimés à d’autres époques, et pourtant la conscience de cette force leur est le plus souvent absente. il ne s’agit pas d’un pouvoir abstrait que posséderait la classe ouvrière dans son ensemble, mais bien de moyens que détiennent concrètement même des groupes restreinte en vertu de leur situation de classe. Par la grève, le sabotage, des désobéissances de toutes sortes, les travailleurs peuvent menacer la mise en valeur du capital. Ils sont à même de bloquer la production de tel bien ou tel service indispensable, de cesser de faire tourner de grands ensembles, de détourner la production pour leur propre compte.

Cette puissance peut être utilisée à un niveau supérieur pour éviter des désagréments à d’autres. Une grève des transports fait perdre des journées de travail. Tant pis pour les acharnés du boulot. Il existe d’autres moyens de pression pour faire que ces journées soient tout de même payées. Certaines grèves des transports se sont déjà traduites par un simple arrêt du contrôle des paiements. Que dirait-on de la distribution gratuite de certains produits, de postiers qui n’oblitéreraient plus les lettres, de caissières qui arrêteraient le travail et permettraient aux clients de partir sans payer, d’employés qui détruiraient des papiers importants ? Des possibilités d’action extraordinaires existent pratiquement partout. Ce qui manque, c’est l’audace, l’accord, le goût réel de l’efficacité et du jeu.

Il est déjà significatif que régulièrement les émeutes de notre temps, qu’elles aient lieu aux États-Unis, en Pologne, à Londres ou au Caire, débouchent sur l’assaut des magasins. Une panne d’électricité en juillet 77 à New York et des pères de famille respectables participent au pillage en compagnie des « voyous ».

Défendre en toutes circonstances l’outil de travail cher aux syndicalistes, prévenir avant de faire grève, faire des grèves d’avertissement, protéger la propriété patronale ou étatique, c’est céder au fétichisme du capital et rester son prisonnier, ne point utiliser ce qu’il a lui-même concentré entre les mains des prolétaires. Les ouvriers pour qui l’outil de travail n’est plus une chose sacrée qu’il ne faut surtout pas détourner de sa fonction première, ceux qui n’acceptent plus de sacrifier leur vie devant des fétiches, sauront le moment venu utiliser au mieux les instruments que leur aura légués le capital. Ils sauront remettre en marche tout ce qui sera nécessaire pour assurer les tâches révolutionnaires : se vêtir, se nourrir, s’associer, s’armer...vivre.

Dans la perruque, lorsque les ouvriers utilisent les machines pour leur compte, se dessinent une activité et une communauté qui échappent au salariat. L’ordre « Il faut faire ça est » remplacé par une question « Qu’est-ce qu’il est possible de faire ? ». Ce travail, s’il est un but en soi, n’est pas pour autant dépourvu de but. Les possibilités ne sont pas illimitées, mais l’ouvrier qui s’adonne à la perruque fait marcher sa tête, s’informe. Il passe en revue le matériel qu’il a autour de lui, examine les possibilités non utilisées autres que celles offertes par sa machine : celles des petites machines auxiliaires, de la machine à cisailler les plaques dans le coin de l’atelier, de la meule, des outils qui sont à sa disposition ; et il décide. Ce travail en perruque, humble, exécuté en cachette, est le germe d’un travail libre et créatif : tel est le secret de cette passion.

Lorsque les travailleurs agissent contre le capital, leur action n’est pas simplement un moyen mais aussi l’esquisse d’autre chose, d’un monde où l’activité humaine ne sera plus enchaînée mais libérée, non plus soumise à la production de richesses, mais enrichie et expression de la richesse même. Dans la lutte, l’ouvrier redevient maître de lui-même et reprend le contrôle de ses propres gestes. Le caractère sacré de l’outil de travail, le sérieux oppressant de la réalité de l’usine s’effondrent. Avec le sabotage, mais plus généralement avec tout ce qui s’en prend directement à l’organisation du travail, la joie réapparaît.

Dans l’initiative qui ressurgit, les liens qui se nouent, les racismes de toute nature qui s’effacent, la gratuité des gestes et des sentiments, c’est la communauté qui renaît. Les prolétaires en révolte, produisent un usage infiniment plus riche de leur vie, du temps et de l’espace dont ils deviennent fugitivement les maîtres. L’affirmation de leur vie humaine et non plus vie du capital est immédiatement communiste.

L’aspiration au communisme

Le besoin de la communauté humaine, voilà le cœur du communisme. Les descriptions des Utopistes manifestaient déjà le besoin historique du communisme et en faisaient une exigence immédiate, conformément à sa nature profonde. Mais le communisme n’a pas été inventé par des penseurs. C’est la vieille aspiration à l’abondance et à la communauté qui était présente dans les révoltes d’esclaves de l’antiquité comme dans celles des paysans du moyen-âge.

Le capitalisme tente de faire disparaître toute trace de communisme. Mais l’activité la plus intégrée et la plus servile se nourrit de participation, de création, de communication, d’initiative, même si ces facultés ne peuvent s’épanouir. Le besoin du salaire ne suffit pas à faire fonctionner l’ouvrier. Il faut qu’il y mette du sien.

Le communisme n’est pas une forme d’organisation sociale figée. On ne le construit pas comme le prétendent ceux qui tirent des plans sur la comète. Il surgit sans cesse au sein de l’activité humaine même s’il ne peut se développer qu’à certains moments. Plus l’activité se dresse contre le capital, plus elle tend à dessiner le communisme. Lorsque les hommes recommencent à avoir des expériences à se communiquer, des choses à se dire et à faire, la conscience cesse d’être le reflet passif de représentations et de situations gelées. Plus la lutte s’approfondit, plus ceux qui y participent se trouvent nettoyés des préjugés et mesquineries qui les habitaient. Leur conscience se dénoue et c’est un regard neuf et étonné qu’ils jettent sur la réalité et l’existence qu’ils mènent.

Les prolétaires ne peuvent se réapproprier par morceaux les moyens de production et une activité totalement émiettée, il leur faut s’associer et mettre en commun. Mais, par delà le mouvement de réappropriation et de mise en commun, une nouvelle activité se développe, de nouveaux rapports naissent, des passions enterrées se réveillent, la relation de domination des objets sur les hommes est renversée.

Le système capitaliste est fondé sur l’opposition production/consommation. L’existence du prolétaire n’est-elle pas double ? Pressuré, chronométré, ahanant quand il gratte ; et sollicité, flatté, joué quand il consomme. Avec le communisme, ce n’est pas tant la réduction maximum du temps de travail qui importe, mais le dévoilement du caractère bidon de l’opposition travail/loisirs. Des sociétés primitives employaient le même mot pour désigner le travail et le jeu. Dès maintenant, on peut concevoir la chasse, la cueillette, le jardinage comme autre chose que du travail tout en étant des activités productives. Il en va de même pour les activités liées à l’industrie, mais le métal froid du machinisme pèse sur notre imagination d’autant que ces tâches ne peuvent devenir elles-mêmes des sources de plaisir qu’avec l’émancipation de l’ensemble de l’humanité.

Par d’incessantes innovations technologiques, par la rationalisation de l’usage de la force de travail, le capitalisme a multiplié l’efficacité productive. La réduction du temps de travail : la standardisation des pièces, l’interchangeabilité des tâches... c’est ce qui fait courir l’humanité. Certains commentent en disant que le progrès entraîne une qualification meilleure. Et de citer à l’appui l’augmentation du nombre des ingénieurs tout au long du XXe siècle. Mais ils oublient de préciser qu’aux USA celui des portiers s’est accru d’autant dans le même temps... La course à la productivité a en fait approfondi la dégradation, la dévalorisation du travail.

Les réalisations scientifiques et techniques montrent que la pénurie naît de l’abondance même. Alors que l’encombrement automobile se dresse contre l’automobile, la consommation pharmaceutique contre la santé, la destruction de la nature contre son humanisation, la faille porte sur l’usage de la marchandise en tant que telle. Pourquoi se déplacer quand, dans le système des objets, il n’y a plus personne à rencontrer ? La consommation, malgré toutes les fausses promesses de la publicité ne peut plus se révéler un remède contre la misère. La colonisation par la marchandise et le fric de toute la vie sociale a sapé les valeurs traditionnelles et le respect des institutions. La misère la plus intime se révèle elle-même façonnée par le capital. Mais cette destruction est aussi une libération et une multiplication des désirs.

Le communisme n’est possible que grâce au déblayage effectué par le capitalisme. Il est non pas la défense des prolétaires, mais l’abolition de la condition prolétarienne. Il ne porte pas les ouvriers au pouvoir et ne nivelle pas l’ensemble de la population au même revenu. Il en finit avec l’esclavage salarié, le productivisme, l’opposition travail/loisirs. Il permet la réunification de l’activité humaine sur la base de tous les acquis techniques et humains. L’ouvrier n’est plus enchaîné à l’usine, le cadre n’est plus rivé à son attaché-case. Le besoin d’agir n’est plus soumis au besoin d’argent.

Abolition du travail et de l’échange

La communauté humaine et la fin de l’entreprise comme unité de la vie productive provoquent la fin de l’échange. Supprimer l’argent qui sert à l’échange, ce n’est pas revenir à cette forme primitive de l’échange qu’est le troc. Les objets ne circulent pas dans un sens avec pour compensation une circulation d’autres objets dans Ie sens inverse. Ils sont répartis directement en fonction des besoins, conçus et produits pour développer les possibilités d’activités les plus productives de sens social.

Évidemment pour les banquiers et certains idéologues on ne pourra jamais se passer d’argent : il est au corps social ce que le sang est au corps humain. Pourtant il ne faut pas remonter loin pour trouver une époque où l’immense majorité d’une humanité paysanne produisait essentiellement pour satisfaire ses besoins familiaux et ne pratiquait presque pas l’échange monétaire.

Aujourd’hui la contrainte de vendre sa force de travail ne résulte pas d’une force directe et personnelle, mais économique et anonyme. A travers le besoin d’argent, il semble que ce soit la dictature de ses propres besoins qui impose au travailleur de se rendre au chagrin, que ce soit là un fait naturel.

La séparation entre les hommes est si profonde que l’argent, ce lien social abstrait, apparaît comme la seule denrée qui soit véritablement communautaire, passant indifférente et inodore de main en main. L’humanité ne peut se passer du fric, cette relation abstraite, impersonnelle, qu’en s’unissant concrètement dans l’association communiste. Actuellement, l’on ne mesure mon apport personnel qu’en fonction d’une rétribution personnelle : avec l’association, la notion même de contrepartie disparaît, puisque ma satisfaction c’est d’enrichir le développement de la communauté.

Le communisme, ce n’est pas simplement la généralisation de la gratuité, le monde tel qu’il est moins l’argent, un gigantesque libre-service. Il ne supprime ni les choix douloureux, ni les efforts. Son instauration ne se fera pas sans difficulté : et la croire facile est aussi chimérique que la prétendre impossible. La persistance à travers les âges de la lutte des classes et des soulèvements prolétariens montre sa nécessité. Et ce n’est pas tant la force des maîtres que l’immensité de la tâche qui les a fait échouer. Il y a un saut énorme à accomplir et seul ce saut assure la victoire de la classe prolétarienne, en même temps qu’il signifie sa négation.

Fournir gratuitement les biens nécessaires à la satisfaction des besoins essentiels, voilà ce que permettent les techniques qui soutiennent l’invasion de tous les aspects de la vie par la marchandise. Mettre à la disposition de chacun la nourriture, l’habillement, le logement, des moyens de transport et toute une série de produits élaborés est immédiatement possible pour les pays industrialisés mais pourrait être étendu assez rapidement au reste de la planète. De plus, si la fin de la marchandise suppose une gigantesque transformation du contenu de la production et de l’usage des biens, elle entraîne la fin de la séparation luxe/nécessité.

Si l’emploi de l’automation est actuellement limité à quelques industries (acier, pétrochimie, etc ...), la communisation entraînera une utilisation plus étendue des automatismes qui sont, sinon assez simples dans leurs principes, du moins aisément applicables à de nombreuses activités. Le machinisme moderne (cf. la commande électronique) , ne permet pas simplement d’augmenter la productivité, de limiter les interventions humaines, mais aussi de généraliser l’accès aux machines-outils. Fabriquer massivement, de la façon la plus automatisée possible, des biens utilitaires et standardisés, n’empêche pas la mise en circulation des matériaux, outils et machines servant à les transformer. Il faut en finir avec le règne du prédigéré, pour que chacun puisse s’activer selon ses goûts, le besoin de la quantité ne s’opposant plus à l’exigence de la qualité.

Ainsi la spécialisation à outrance cède la place à la polyvalence. On est à la fois ouvrier, paysan, artiste et scientifique ; en fait au-delà de toutes ces catégories étroites et primitives. La production n’exclut plus l’expérimentation, les contacts et les « pertes de temps », et l’apprentissage sort des ghettos scolaires et universitaires pour se fondre dans le mouvement même de l’activité productive.

Vers l’insurrection

La communisation passe par la résurgence des conseils révolutionnaires que les insurrections prolétariennes de ce siècle ont fait apparaître à l’état embryonnaire. Si des conseils se développent dans les quartiers, les unités de production, ce mode d’association émanant directement des masses vagissantes, réglera l’organisation pratique et le contrôle des tâches nécessaires, et de ce fait devra court-circuiter les organes de représentation politique.

Les conseils du passé, malgré leurs défauts et leur timidité ont montré la capacité des travailleurs à s’occuper de leurs affaires. Les meilleures manifestations des conseils ont eu lieu lorsqu’ils ont dû répondre rapidement, clairement et durement à leurs ennemis. Ils se sont directement forgés comme l’organisation de la lutte. Mais souvent ils se sont enlisés dans l’administration et dans l’attente. On a vu alors se construire de magnifiques organisations, mais dans le vide, en dehors des impératifs de lutte et des tâches à réaliser. Ces organes ne sont ni la recette miracle, ni le but de la révolution. Le communisme n’est pas le remplacement du pouvoir de la bourgeoisie par le pouvoir des conseils, de la gestion capitaliste par la gestion ouvrière. Le risque pour ceux-ci est de devenir un prétexte pour continuer à enchaîner les travailleurs à l’entreprise, au lieu d’être le levier qui fait sauter les cloisonnements de la vie sociale, le moyen de s’associer et de communiser.

Prendre des décisions entraîne des divergences. Le communisme ne signifie pas la fin de toute opposition, au contraire il les féconde en changeant leur contenu. Les conflits ne viennent plus d’intérêts personnels à préserver, mais des solutions que chacun propose pour satisfaire l’intérêt commun. Ce sont ces divergences mêmes qui permettront de comparer les possibilités d’activités impulsées par les conseils, sans pour autant retomber dans des débats de style parlementaire.

Le but de la révolution communiste n’est pas de fonder un système d’autorité démocratique ou dictatorial, mais une activité différente. Le problème du pouvoir apparaît quand les hommes perdent le pouvoir de se transformer eux-mêmes et leur environnement, lorsqu’ils sont contraints d’agir dans un autre but que le contenu de leur activité.

La révolution communiste ne recherche pas le pouvoir, mais elle a besoin de pouvoir réaliser ses mesures. Elle résout cette question parce qu’elle s’attaque à sa cause : elle est appropriation de toutes les conditions matérielles de la vie. C’est en rompant les liens de dépendance et d’isolement que la révolution détruira l’État et la politique. Cette destruction n’est pas automatique. Il ne disparaîtra pas peu à peu, au fur et à mesure que grandirait la sphère des activités non marchandes et non salariales. Ou plutôt cette sphère serait très fragile si elle laissait subsister à côté d’elle l’État, comme les gauchistes et écologistes voudraient le faire. Une des tâches des révolutionnaires est de mettre en avant des mesures qui tendront à saper la force de l’État et à créer une situation irréversible. Par exemple détruire tous les fichiers d’État-civil et autres mises en cartes de la population par les diverses administrations attaquerait à la fois des fonctions économiques et répressives. Les procédés de centralisation par ordinateur et micro-film rendent la machine étatique finalement plus vulnérable.

Le communisme est l’enjeu et l’arme de l’insurrection. De la capacité du prolétariat à révolutionner l’économie et sa condition dépend sa victoire. Dans la guerre sociale le rapport des forces militaires à l’origine n’est pas décisif. La révolution doit priver l’armée d’un enjeu à défendre et miner sa base matérielle. Ainsi briser le casernement des soldats par des manifestations de fraternisation peut se révéler parfois bien plus efficace que des attaques désordonnées. Disposant d’une puissance destructive pire que jamais, l’armée voit pourtant ses valeurs traditionnelles se décomposer car elles deviennent étrangères au monde moderne. Par la nature de ses armes et de son appareil technique, elle est dépendante de sa base économique comme elle ne l’a jamais été. Si les producteurs de façon cohérente et déterminée utilisent leur force, alors ils auront de quoi affamer, décourager, diviser, paralyser, rallier, écraser leurs adversaires. S’ils ne tirent pas avantage de leur position, du désarroi initial de l’ennemi, pour attaquer le capital là où il est vulnérable, alors ce sont eux qui deviendront une cible facile pour la contre-révolution idéologique et politique d’abord, et militaire ensuite.

La violence révolutionnaire est un rapport social qui bouleverse les êtres, qui fait des hommes les sujets de leur propre histoire. Mais les insurgés glisseraient sur le terrain de l’ennemi s’ils se livraient à un affrontement camp contre camp, s’ils cherchaient à stabiliser un rapport de forces, à préserver des « acquis ». L’insurrection dégénérerait alors en guerre civile, glissement fatal qui ne ferait que reproduire la cause de l’échec du passé révolutionnaire (communards-versaillais, anarchistes-franquistes...). Face à un adversaire englué dans une conception militariste de l’affrontement les insurgés ont aussi pour atouts la souplesse et la mobilité. Ne craignant pas de mettre en jeu les passions, l’imagination, l’audace, l’insurrection doit sans cesse se fonder sur sa propre dynamique : la communisation.

Beaucoup savent confusément que nous vivons la fin d’un monde, même s’ils ne savent pas encore ce qui va advenir : le mouvement n’a pas encore eu la force de rendre visible son contenu et d’affirmer ses perspectives. Ceux qui supportent de moins en moins la barbarie capitaliste doivent découvrir ce à quoi ils aspirent : le monde dont leur révolte est porteur, le communisme.

Prolétaires, encore un effort pour cesser de l’être...